Biopic
2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s)

SERGE GAINSBOURG, VIE HEROÏQUE

Joann Sfar (France - Distributeur : Cinéart)

Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Laetitia Casta, Anna Mouglalis, Dinara Drukarova, ...

130 min.
3 février 2010
SERGE GAINSBOURG, VIE HEROÏQUE

Le défi que représente la retranscription de la vie de Serge Gainsbourg sur grand écran a dû en décourager plus d’un avant l’entrée en scène de Joann Sfar. Avec son film, ce dernier, au-delà d’un biopic transparent qui se voudrait fidèle à une vérité indéniablement inatteignable, a choisi de bifurquer vers une interprétation réellement personnelle de la vie du chanteur.

Pour ce faire, d’une part, le cinéaste, qui s’écarte le temps d’un film de sa profession de dessinateur, pimente l’esthétique de son film par une imagerie directement inspirée de l’univers de la bande dessinée. D’autre part, le réalisateur se montre moins concerné par un récit de vie proche de la vérité que par les mensonges auxquels le chanteur a donné vie, aussi bien aux yeux du public que pour se tromper lui-même, sans doute.

L’envie lui vient aussi de s’attarder sur d’autres facettes du parcours d’un personnage torturé. Lucien Ginsburg, petit juif sous l’occupation de Paris par les Allemands, évolue de manière insolente, intelligente dans la capitale française. Chez lui se pressent déjà le futur d’une vie faite de choix incisifs. Peintre et poète peu assuré, l’enfant devenu jeune homme évoluera dans les cabarets typiques des années soixante pour ensuite devenir le personnage adulé que l’on sait. S’ensuit une descente aux enfers progressive installée par un comportement autodestructeur de plus en plus extrême.

L’enfance tient une grande place dans ce récit tumultueux, ainsi que les conquêtes amoureuses bien connues du séducteur. Le désarroi qui ne quittera jamais le petit Lucien se matérialise sous la forme d’un alter-ego omniprésent, manifeste des troubles profonds qui animent celui qui devait devenir une figure adulée par les uns et méprisée par d’autres. Pourtant, cette récurrence est un tantinet trop appuyée, trop explicite, trop imagée. D’un autre côté, ce parti pris de mise en scène est également un choix clair et réfléchi, celui du réalisateur d’aller au bout de la vision qu’il propose.

Malgré quelques longueurs, quelques essoufflements au cours de ce récit, le film vaut surtout pour cela. Car le cinéma n’est pas garant de vérité, il offre plutôt, comme tous les arts d’ailleurs, une vision éminemment subjective. Et c’est là toute la puissance de ce film, celle d’une proposition éminemment personnelle.

Aux côtés de figures caricaturales sans réelle profondeur (Laetita Casta en Brigitte Bardot, belle mais pourtant transparente ; Sara Forestier en France Gall, insubstantielle), se dessinent des contours moins polarisés au travers du personnage de Juliette Gréco (Anna Mouglalis) mais surtout au travers de l’incarnation délicieuse de Jane Birkin par la fraîche mais déjà regrettée Lucy Gordon (1).

Et bien sûr, la prestation remarquable d’Eric Elmosnino est le second édifice sur lequel repose l’ensemble de ce projet – le premier étant la proposition singulière faite par le cinéaste débutant Joann Sfar. L’acteur permet à cette histoire de prendre vie, malgré l’empreinte marquée des icônes auxquelles elle fait allusion dans l’imaginaire populaire. Crédible d’un bout à l’autre du film, il compose un pont entre ce que fût vraiment cet homme à la dérive et la personnification de ce dernier par l’acteur totalement habité. Une question tourmentante apparaît presque : après ce rôle dans lequel son physique se mêle au souvenir de l’image du chanteur, pourra-t-il être identifié à quelqu’un d’autre que ce dernier ? En attendant de connaître son avenir professionnel, le coup de projecteur lancé sur cet acteur du cinéma français permet de découvrir un vrai talent.

Enfin, cette vie héroïque dont il est question dans le titre, c’est surtout l’image de celle que Serge Gainsbourg a fait naître dans la mémoire collective française, celle qu’il a voulu se créer à travers sa recherche inassouvie de reconnaissance, celle qu’on lui a inventé et dont on ne saura jamais si elle abrite un semblant de vérité. (Ariane Jauniaux)

(1) Lucy Gordon s’est donnée la mort en mai 2009, alors que le film était en post-production.

_