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Rabia

Mareike Engelhardt

Megan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief

94 min.
12 février 2025
Rabia

Tout commence comme un départ en vacances ! Paris 2014. Jessica (Megan Northam), jeune fille de 17 ans, est si heureuse de partir en Syrie pour aller retrouver le futur mari que Daesh lui destine. Destination : Raqqa et la « Madafa 66 », une des maisons mises en place par l’Etat Islamique (EI) pour héberger les femmes étrangères, prêtes à être mariées le plus vite possible et à faire de enfants qui seront des futurs combattants. Commence alors, jour par jour, insidieusement, la descente aux enfers..
Avant d’aller plus loin, et c’est la force de ce film de Mareike Engelhardt, proche du documentaire, soulignons que la réalisation a fait l’objet non seulement d’un long travail préparatoire auprès de femmes revenues de Syrie mais aussi lors du tournage avec la collaboration d’une ex-membre de l’État Islamique présente chaque jour en plateau.
Reprenons l’histoire : Jessica et ses compagnes, sont entassées dans des pièces d’un immeuble à peine salubres, interdites de sorties, mal nourries. A la tête de ce Madafa, une femme redoutée, cruelle, manipulatrice, « Madame » (1) (admirablement jouée par Loubna Azabal ») : elle fait régner la terreur et soumet « ses filles » insoumises à un régime alternant châtiments corporels, privations, consolations, cachot, etc. On comprend que le système de Madame est encore plus pervers quand elle dit à Jessica « chaque fille qui est ici cherche sa part manquante » et c’est pour cette raison qu’elles ont été en quelque sorte » recrutées » en France. Pour Jessica , la part manquante c’est sa mère qu’elle retrouve dans la figure destructrice de Madame.
Jessica, refusant d’être violée par son futur mari, est soumise à tous ces traitements dont elle ressort cassée, vidée, « rééduquée » et prête, pour survive dans le système, non seulement à suivre les ordres de Madame mais à jouer le même rôle auprès des autres femmes. De victime, elle devient bourreau sans pitié jusqu’au jour où elle prend conscience de la manipulation. Est-ce trop tard ?
La réalisatrice dont c’est le premier long métrage a eu l’idée de Rabia en rencontrant Sonia, une jeune femme tout juste rentrée de Syrie après avoir passé plusieurs mois au sein de l’État Islamique. Elle décrit d’une manière implacable les méthodes de l’EI pour attirer les personnes fragiles, en les endoctrinant- comme le font les sectes- On pense avec effroi aux nurseries spéciales, les « lebensborn » où les femmes enceintes de la SS venaient accoucher. Si le film évoque les motivations qui ont poussé cette jeune fille de 19 ans à se radicaliser et partir en Syrie, il s’attache surtout à décortiquer le processus de soumission des femmes par les femmes au service de Daesh sous le califat proclamé en Syrie.
Le film (2) nous enferme peu à peu dans le huis clos gris et noir de cette Madafa, jusqu’au moment de la prise de conscience de Jessica, qui, montée sur le toit de sa prison, découvre les couleurs du ciel et l’horizon de la ville détruite.
C’est un film coup de poing, nécessaire. Ne le manquez pas.
France soubeyran

(1) Le personnage de Madame est inspiré par la Marocaine Fatiha Mejjati (aussi appelé Oum Adam), qui a dirigé d’une main de fer l’une des plus grandes Madafas de l’État Islamique, en 2015. Arrêtée par les forces arabo-kurdes, elle s’est échappée du camp où elle était détenue.
(2) Le film a reçu
 Au Festival de Deauville, le Prix d’Ornano-Valenti (Meilleur Premier Film Français) 2024
 Prix du Public, Festival Arte Mare (Bastia) 2024
 Prix du Jury Jeunes (Mention Spéciale), Festival Arte Mare (Bastia) 2024
 Prix du Public, Festival du Film de Sarlat 2024
 Prix du Jury Jeunes, Festival du Film de Sarlat 2024