Chronique familiale
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

PUDOR

David et Tristan Ulloa (Espagne 2007 - distributeur : ABC distribution)

Nancho Novo, Elvira Minguez, Natalia Rodriguez

113 min.
4 juin 2008
PUDOR

Il n’y a pas que chez Ibsen, Strindberg et Pirandello que les cœurs crient famine.

Bien éloigné de la facilité roborative des romans à succès d’Anna Gavalda ou Katherine Pancol (*), le premier long métrage des frères Ulloa (**), adapté d’un beau livre de Santiago Roncagliolo (***), raconte la vie d’une famille dont chacun des membres est à la recherche de quelque chose - au fond de la même chose - qui se dérobe même si parfois, furtivement presqu’avec culpabilité, ils ont l’impression d’avoir capté ce qui leur manque.

Cinq personnages en quête de mots. A dire, à partager avec ceux qui leur sont proches ou du moins qui devraient l’être puisqu’ils habitent sous le même toit.

Des mots qui précisément font défaut à cette tribu qui vit ensemble mais séparée par les peurs et angoisses de ceux qui la constituent à se montrer tels qu’ils sont, vulnérables, insatisfaits et malades.

De ces maladies, qui comme le cancer dont souffre le père, rongent de l’intérieur.

« Pudor » est un film complexe, qui brasse désirs et imaginaires - celui d’une épouse qui s’invente un amant, d’un petit garçon qui voit des fantômes, d’un grand-père qui rêve de tomber amoureux - pour décrire des simili-vies bâties sur des cris de détresse refoulés.

Il y a dans « Pudor » un je ne sais quoi de dur et de sensible qui cogne au cœur du spectateur.

Le laissant amer face à cette famille, reflet d’une société moderne dysfonctionnante qui nous enferme, si on n’y prend garde, dans des tiroirs, illusoires remparts où s’abritent les incapacités à communiquer, à oser le risque du dialogue, le parti pris de la nudité affective.

Dans ce film à fleur de peau, il y a un mal-être palpable mais aussi la reconnaissance modeste certes mais ébauchée d’une issue à la solitude des personnages : cesser de cultiver des secrets ou de croire que l’autre ne nous comprendra jamais.

Le cinéma espagnol est connu pour ses films d’horreur bien ficelés - « Abre los ojos » d’Amenabar, « Rec » de Balaguero & Plaza, « El orfanato » de Bayona.

Sans relever à proprement parler du même genre cinématographique « Pudor » nous parle lui aussi, avec une certaine sécheresse parfois ironique, de violence.

Celle vécue au quotidien par des gens que la frustration et le silence peuvent conduire à une forme de folie.

"Pudor" a obtenu l’Olivier d’Or au festival Européeen 2008 de Lecce pour " ... son approche d’une notion en constante transformation : la famille". (m.c.a)

 
(*) « Ensemble c’est tout », « Les yeux jaunes des crocodiles », tous deux parus en poche
(**) Tristan l’aîné qui a notamment interprété le rôle de Lorenzo dans « Julia y el sexo » de Julio Medem et le cadet David, connu pour avoir réalisé des segments de la série télévisée à succès « El comisario ». Tous deux ont déjà réalisé de concert en 2002 un court métrage « Ciclo ».
(***) Ecrivain chilien qui vit actuellement en Espagne, scénariste de télénovelas, journaliste d’investigation et politique, son roman "Avril rouge", vient de sortir en traduction français au Seuil. Il aborde sous la forme d’un magistral thriller la lutte menée par un procureur péruvien contre les activités terroristes du Sentier Lumineux.