PIEDS NUS SUR LES LIMACES

On peut ne pas aimer l’hystérie de ce film, la deuxième réalisation de Fabienne Berthaud qui adapte son roman édité depuis peu en livre de poche.

On peut être dérangé par sa désarmante afféterie formelle et sa sursaturation qui donnent aux couleurs l’aspect acidulé et excessif des premiers Almodovar.

On peut être agacé par la singularité frappadingue de Lily (*), la jeune sœur immature de Clara qui, à la mort de sa mère, recueille sa cadette incapable de vivre seule.

On peut bien sûr avoir son propre avis. Plus anti que pro limaces.

Mais à l’inverse on peut, et pour les mêmes raisons esthétiques (l’image HD est magnifique) et de folie douce et naturaliste, être bouleversé par cette histoire forte et tendre entre deux sœurs.

Que tout semble séparer et qui pourtant vont peu à peu retomber en affection. Avec la même émotion et lâcher prise que ceux qui tombent amoureux.

« Pieds nus … » possède une petite musique bien à elle.

Petite musique qui, comme la sonate de Vinteuil dans « A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust permet à Charles Swann de prendre conscience de son amour tumultueux pour Odette de Crécy, va permettre aux personnages, interprétés avec poésie et délicatesse par Diane Krüger et Ludivine Sagnier, de mieux se comprendre et de mieux comprendre la profondeur magique du lien qui les unit.

Dans le film d’Alexandra Leclère, « Les sœurs fâchées » (**) il était aussi question d’un rapport sororal.

L’exploration de celui-ci était intéressante et rondement menée mais moins humainement fouillée que ce face à face entre deux jeunes femmes dont l’une a sacrifié sa particularité pour vivre en accord avec les normes sociales alors que l’autre a conservé la bizarrerie qui fait le charme des enfants mais scelle, si on ne s’en débarrasse pas, une inadaptation au monde des adultes.

« Pieds nus … » doit tout à un formidable duo d’actrices liées par un pacte secret leur permettant de faire bloc pour refuser une bienséance dont elles n’ont rien à faire parce qu’elles savent que celle-ci est (ou sera) une entrave à leur envie et besoin de liberté.

Il se dégage quelque chose de fou, de fragile (d’évanescent ?) et d’interpellant dans ce film qui confirme après « Frankie », le premier long métrage de Fabienne Berthaud que celle-ci sait cueillir la lumière et les ténèbres qui trament l’existence de ses personnages. En équilibre précaire entre l’envie de vivre et celle de mourir.

Il est risqué de marcher sur les limaces. Celles-ci offrent maintes occasions de glisser. De tomber et de se faire mal.

Mais les éviter en s’agrippant à la rampe rigide de la normalité n’est-il pas prendre un risque bien plus grand encore ?

Celui de s’empêcher de saisir le moment présent avec la grâce insouciante qui en révèle la saveur. (mca)

(*) C’est la deuxième fois, après "La petite Lili" de Claude Miller que Ludivine Sagnier porte ce prénom cursif et chantant. Dans les deux occurences, elle a quelque chose de cet intrépide jusqu’au boutisme qui se fiche de rendre son personnage sympathique aux yeux du public propre à un Denis Lavant.

(**) Isabelle Huppert et Catherine Frot.