Dessin animé de qualité stylistique +++
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PERSEPOLIS

Marjane Satrapi (France 2007 - distributeur : Cinéart)

les voix de Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Danielle Darrieux,

90 min.
27 juin 2007
PERSEPOLIS

A nous, les petites Iraniennes lorsqu’elles font, jubilantes et courageuses, la nique aux mollahs.

P oétique
E nergique
R igolo
S tylé
E mouvant
P uissant
O riginal
L utin
I mpertinent
S timulant, ce film réussit le délicat pari d’être, à travers le regard d’une jeune femme posé sur son enfance et son adolescence, à la fois un récit d’apprentissage (un bildungsroman comme l’a été Peter Camenzind pour Herman Hesse) et une fresque historique rendant palpables les bousculements de l’Iran des années 1970-1980.

« Persepolis », loin de l’aspect réducteur des pamphlets ou des caricatures, est une œuvre humaniste à laquelle une vive intelligence donne valeur de témoignage qui secoue clichés et idées convenues contre les régimes mis en place à Téhéran avant et après la révolution islamiste.

Dans un esprit rock-punk proche de celui des « Grimegirls », ces jeunes anglaises qui remettent
en cause les excès du neolibéralisme installé par Tony Blair et avec ce grain de folie qui la rend proche d’Amélie Nothomb (celle-ci, petite, rêvait de devenir Dieu, plus modeste ( ?) Marjane Satrapi se contente de vouloir devenir prophète), la cinéaste empoigne son destin et le transforme en quelque chose de vivant, de créatif et de libre.

Obligée au port du foulard, elle ne laissera pas son âme être clouée au pilori des diktats que suppose ce bout de tissu. Même si le prix de ce non-asservissement sera celui des douleurs de l’exil qui la sépare de ceux qui l’aiment et notamment d’une grand-mère dont l’affectueuse causticité, adoucie par le parfum des fleurs de jasmin qui se nichent dans son corsage, lui laissera en héritage le sésame d’une vie réussie : la dignité en toutes circonstances.

La force de « Persepolis » est de tenir à respectueuse distance tout ce qui pourrait ressembler à du sentimentalisme et de ce fait à favoriser la réflexion du spectateur qui, ne se sentant pas asphyxié par un discours émotionnel, a le loisir de se poser ses propres questions sur l’expérience humaine relatée sous ses yeux. Expérience qui n’épingle pas seulement les conséquences d’une idéologie religieuse bornée mais pointe, avec autant de mordante férocité, les petitesses d’un monde occidental replié sur ses propres préjugés.

Film d’animation d’une élégance rendue encore plus racée par un usage janséniste du noir et blanc rehaussé par un subtil nuancier de gris, (*), « Persepolis » arrive dans nos salles de cinéma, porteur de toutes les chamarrures de la renommée (**) dont les trompettes sont embouchées par les professionnels de la recension cinématographique, le public et le jury du Festival de Cannes dont il a reçu, ce printemps, le prix co-partagé avec "Luz Silenciosa" de Carlos Reygadas .

A cette absence de fausses notes - hors celles prises, de volonté délibérée, par Chiara Mastroianni de chanter, dans une scène mémorablement contestataire, « Eye of the tiger », cet hymne d’un Occident vainqueur - il existe néanmoins un petit, mais néanmoins emblématique, bémol qui porte griffure à cet accueil largement positif.

Alors que « Persepolis » démonte et dénonce avec une constante ironie les obscurantismes de la pensée, on se demande pourquoi la réalisatrice a refusé (***) la demande d’entretien formulée par CinéFemme - voir article ad hoc sur ce site en onglet « interviews » - au nom d’un principe d’un autre âge selon lequel les groupes de femmes ne peuvent être que des « sectes » ?

Attitude déconcertante qui donne, elle aussi, à réfléchir sur l’adéquation entre le réel raconté et le réel vécu. Et qui souligne qu’il existe toujours, dans une zone yin (ou yang) un point de yang (ou yin), comme il existe dans tout esprit tolérant une possibilité d’intolérance avec laquelle il faut composer. (m.c.a)

(*) un des apports essentiels apportés par Vincent Paronnaud à la mise en scène de la BD originale de Marjane Satrapi

(**) à l’exeption, soulignons-le, des officiels de Téhéran qui ont fait part à l’Ambassade de France de leur mécontentement. Assimilant la sélection et la distinction de « Persepolis » pour Cannes à des « gestes d’islamophobie ». Attitude de réprobation rare mais pas rarissime qui renvoie à celle de Georges Bush lors de l’attribution de la Palme d’Or 2004 à « Fahrenheit 9/11 » de Michael Moore.

(***) espérons, pour la liberté des idées et de leur expression, que cette attitude de refuser les interviews ne soit pas contagieuse. Ce que laisse redouter l’affaire « Lou Reed », relatée dans le Nouvel Observateur du 7 juin, qui n’accepte de rencontrer les journalistes que s’ils répondent d’abord, à un questionnaire quasi policier (article de Fabrice Pliskin en page 120). Les caprices des stars du jour peuvent prêter à rire, quand ils deviennent des exigences de "satrapes" - ces gouverneurs provinciaux de l’ancien Empire Perse - ils risquent de faire grincer des dents.