Réflexion citoyenne
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NO(R)WAY OF LIFE

Jens Lien (Norvège 2006 - distributeur : Imagine Film Distribution)

Trond Fausa Aurvag, Petronella Barker, Brigitte Larsen

90 min.
7 novembre 2007
NO(R)WAY OF LIFE

La Norvège en connaît un bout sur la problématique de l’aliénation. Cette perte de contact avec soi dans un monde noyé sous l’accumulation de gestes répétitifs et absurdes qui conduit au « Cri » de Munch, au désespoir de Nora dans « La maison de poupée » (*) d’Ibsen, à l’amertume des polars de Gunnar Staalesen.

Avec « No(r)way of life » Jens Lien renoue avec ce concept d’une condition humaine monotone, monocorde, axée sur les seules exigences d’une société close sur elle-même.

Société qui à force d’être appendue aux deux fondamentaux que la vie moderne occidentale a (trop) bétonné, la sécurité et la nécessité de stabilité, étouffe en l’homme toute envie de prendre des risques. D’éprouver des émotions et de sortir d’un cocon de neutralité dont le confort, pour ceux qui se mettent à penser, se colore vite de tons oppressants et sourdement suicidaires.

Andréas (**) se réveille dans un autobus, sans savoir d’où il vient et où il va. A l’arrêt du véhicule, il est accueilli par un étrange quoiqu’amical bonhomme qui le conduit vers une ville où l’attendent emploi, amante, appartement et amis dont le seul objet de conversation est l’aménagement de leurs maisons. Non pas cette maison intérieure que les sages appelle le tabernacle de l’incarnation mais celle extérieure dans laquelle ils vivent.

« Norway… » est un film étrange dont la rectitude formelle et l’apparente cohérence dénote avec la foultitude de questions qu’il suscite.

Sommes-nous dans une sorte d’après-vie aseptisée - une vision personnelle de l’enfer – accessible aux morts dont la traversée du Styx se fait en transports en commun et sous la conduite d’un sympathique psychopompe ?

Ou dans une saugrenue critique d’une société dont la déshumanisation effraye, comme effraient la cohorte des morts-vivants de « Omega man » de Boris Sagal, la ressemblance des enfants dans « The village of the damned » de Wolf Rilla ou le supplice appelé à durer éternellement d’un Sisyphe condamné à n’être, à force d’ennui, « même pas heureux » ?

Parabole satirique, cantique dantesque et fable mystérieuse, « Norway… » est un film souterrainement violent. Soutenu par la tension d’un questionnement de la part du héros (et du spectateur) à propos d’un univers qui ne permet pas la mort, la négativité, la connaissance de soi et la réelle intimité avec l’autre.

Porté par une mise en scène décantée au hachoir dont la seule note dés-anesthésiante est celle d’une bande musicale à forte connotation émotive - « Peer Gynt » n’est pas étranger à cette unique ouverture sur un monde sensible -, « Norway… » est un sociétal « mayday mayday » à se méfier du bonheur-formaté-Ikea. (***)

A se souvenir qu’anti morne rime avec anti norme. (m.c.a)

(*) Porté à l’écran en 1918 par Maurice Tourneur a été actualisé en 1973 par Joseph Losey avec
l’épatante Delphine Seyrig dans le rôle de l’héroïne frustrée.

(**) ou l’homme porteur d’ennui, le "Den brysomme mannen" du titre originel de ce "No(r)way..."
(***) Déjà dans « Fight club » de David Fincher - une adaptation du très intéressant livre de Chuck Palahniuk paru aux éditions Folio SF de Gallimard où en page 63 il est question d’un « Délivre-moi du mobilier suédois » - ce type de « bien-être » était pris à parti.