NO BEARS

Il est sorti de prison le 4 février, il venait d’entamer une grève de la faim. Libre, mais jusqu’à quand ? Jafar Panahi vient de passer 7 mois en prison. Depuis 2010, il est interdit de tournage et aussi de quitter le pays… Mais en fait il n’a jamais arrêté de tourner et ses films se retrouvent dans les festivals, glanant des prix ! Contournant tous les obstacles, il s’obstine.
Aujourd’hui nous découvrons sa dernière œuvre, No Bears, prix spécial du jury à la dernière Mostra de Venise. Installé dans un village iranien reculé, proche de la frontière turque, Jafar Panahi tourne à distance, par vidéo, des séquences jouées par des acteurs de l’autre côté de la frontière. Nous sommes à l’intérieur de l’élaboration même du film, entraînés dans une sorte de vertige, entre réalité et fiction. Deux histoires se télescopent : au village, Panahi dérange. Entre obséquiosité et roublardise, les villageois le harcèlent. Impliqué malgré lui dans un sombre conflit où un couple est persécuté au nom de superstitions ancestrales, le réalisateur trace un état des lieux glaçant d’un univers complètement cadenassé, sans aucune lueur. De l’autre côté, en Turquie, un couple est à la recherche de faux passeports, avec un seul rêve : l’Europe. Mais quelque chose se casse entre eux. Partir ? Vraiment ? Qu’est-ce qui est réel ? Où commence le jeu ? Et la nuit, Panahi roule sur la route qui mène en Turquie et … rebrousse chemin.
Du monde rural et obscurantiste aux exilés dans la ville turque, Jafar Panahi dresse un portrait désenchanté, désespéré même, de l’Iran d’aujourd’hui, mais malgré tous les obstacles, il nous offre un film bouleversant, inventif aussi, qui affirme dans la foulée, la nécessité persistante de la création artistique.

Tessa Parzenczewski