Adaptation d’un livre
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Coup de coeurMYSTERES DE LISBONNE

Raoul Ruiz (Portugal/France 2010)

Clotilde Hesme (chouette !), Léa Seydoux Adriano Luz, Ricardo Pereira,

276 min.
16 février 2011
MYSTERES DE LISBONNE

Si tous les cinéastes sont des conteurs, ils ont le pouvoir d’arracher au temps des histoires, des expériences, des aventures, Raoul Ruiz en est un.

Et des plus fascinants.

Avec « Mystères … » il renoue avec une tradition littéraire du XIXème siècle : le récit-fleuve (*).

Celui dont la colonne vertébrale est alimentée par une multitude de personnages bien typés, de récits tissés de pirouettes et de cabrioles créant des univers dans lesquels les détails et l’esprit de synthèse duellisent pour mieux déployer la puissance de leur séduction.

Il ne sert pas à grand-chose (et de toute façon la mission impossible) de raconter « Mystères… ».

 

Il suffit de savoir qu’on y croise, autour d’un jeune orphelin, gens de toutes sortes (prêtre, séductrices, affairiste, libertin,...) et intrigues de tous ordres. Gigotant entre coïncidences et surprises, amours contrariées et esprit de vengeance.

Aussi touffus qu’un roman de Dumas. Aussi percolants que ceux de Paris par Edgard Sue - la dimension de revendication sociale en moins - « Mystères .. » tient en haleine pendant une bonne partie de ses 4 heures de projection et ce malgré une impression parfois de sur-bavardage et une chute de tonus en fin de parcours.

Faiblesses vénielles largement compensées par une mise en scène somptueuse - on pense parfois au « Barry Lindon » de Kubrick -, des plans longs et lents conçus comme des tableaux - Peter Greenaway n’est pas loin- , des dialogues à la musicalité enchanteresse qui emportent le spectateur dans la palette infinie des passions humaines.

Passions tourmentées, sensuelles, énigmatiques qui rappellent par leur cadrage précis le travail romanesque et parfaitement maîtrisé du bas-relief sculpté par Jef Lambeaux que l’on peut voir dans le pavillon Horta de notre parc du Cinquantenaire.

Le talent de Ruiz est d’avoir inséré une narration complexe faites de flash back et de digressions dans une architecture scénique à la fois raffinée et cohérente.

Accessible dès lors à tous ceux qui aiment aller au cinéma pour y voir raconter bellement des histoires en forme de poupée-gigogne.

Que ceux-ci ne déduisent pas cette harmonie entre contenu et forme que le cinéma de Ruiz soit ringard ou désuet.

 

Au contraire, il est d’une modernité surprenante et audacieuse.

Sorte d’arborescence dramaturgique (**) et théâtrale qui est comme un écho aux mises en abyme de nos réseaux de communication (internet entre autres) contemporains.

Film fait de shantung, popeline et taffetas, chatoyant et ludique demandant à ceux qui le voient de ne pas rester passifs mais d’ouvrir grande leur capacité d’imagination et d’émerveillement, « Mystères … » est une féérie.

Il existe paraît-il une version feuilleton télévisé en 3 épisodes de cette œuvre magistrale.

En lui préférant la version cinéma vous en respecterez l’amplitude et la majesté.

 

Sans avoir cette impression désagréable et irrespectueuse d’interrompre le bond d’un Nijinsky ou le vol d’un héron lorsque l’un et l’autre ont l’intention de rejoindre le ciel. (mca)

(*) le film est une adaptation d’un classique isboète de l’époque : Camillo Castelo Branco.

(**) une spécialité du réalisateur depuis "Généalogie d"un crime" déjà avec Melvil Poupaud