Docu-drame
2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s) 2étoile(s)

MY ENEMY’S ENEMY

Kevin Macdonald (France/GB 2007 - distributeur : Cinélibre)

Klaus Barbie dit "Le boucher de Lyon"

87 min.
7 novembre 2007
MY ENEMY'S ENEMY

Jean Moulin. Jean Moulin. C’est vous qui occupez nos pensées pendant que défilent les images de ce documentaire sur un sérial killer - Klaus Barbie - dont le destin fut de pouvoir pendant 38 ans échapper à la Justice, parce que son histoire a croisé celle des grands et stratégiques enjeux de l’après guerre.

Vous, Jean Moulin, qui êtes devenu le symbole de ces résistants assassinés par celui qui, après avoir fait son écolage aux Pays-Bas en traquant les Juifs, a fait de l’hôtel Terminus un « hostel » dont les tortures n’ont rien à envier à la série gore d’Eli Roth.

En 1945 Barbie s’enfuit. Pour lui commence, avec l’aide des Américains, une période de revival qui, encore aujourd’hui, fait monter, au front des Justes, le rouge de la colère. Et de la honte devant l’immoral compromis tissé entre le représentant de ce que Jean-Louis Hue appelle dans le numéro de septembre du « Magazine littéraire » le « Mal nazi » et une Nation civilisée.

" My enemy’s" est un troublant documentaire sur les accommodements et faveurs dont a bénéficié le criminel de guerre pour, en toute cynique conscience, exploiter son savoir faire dans la guerre froide menée contre les communistes. Ici il n’est pas question de soustraire aux savants allemands une connaissance et technique - comme cela a été fait avec Werner Von Braun - mais de s’acoquiner avec une crapule, au prix de son impunité, pour utiliser ses funestes compétences.

A ce sans vergogne « diplomatique » va répondre l’impudence d’un Barbie qui choisit de s’appeler Altmann. Comme le rabbin de sa ville natale, Bad Godesberg.

Il vivra de longues années en Bolivie sous de douillettes « couvertures » sociales d’un rôle - pour reprendre un vocable moderne - de consultant pour les juntes militaires locales. Les assurant de ses conseils pour la torture des opposants aux régimes.

Il faudra attendre 1983 et le retour de la gauche en Bolivie pour que la patiente battue des époux Klarsfeld aboutisse et qu’arrêté puis extradé en France, Barbie comparaisse devant la Cour d’Assises, défendu par un roublard fanfaron des prétoires, Jacques Vergès. Condamné à la perpétuité, il mourra dans une prison de Lyon en 1991.

« My enemy’s … » est un film sobre, porté par la voix off mesurée et calme d’André Dussolier pour la version française. Articulé autour de documents d’archivages et de témoignages poignants et surprenants quant à l’ampleur de la complicité muette de la France dans l’exil doré de Barbie, il se veut une réflexion sur la notion d’instrumentalisation des êtres humains au nom d’un principe qui leur serait supérieur. Ainsi en a-t-il été de Barbie, comme de Saddam Hussein, allié ou opposant suivant l’objectif poursuivi - la lutte contre les Talibans ou celle contre le terrorisme.

Ce ne sont pas les quelques raccourcis parfois rapides ou habilement agencés (sur l’éventuelle participation de Barbie à la capture de Che Guevara notamment) qui doivent nous faire oublier que Kevin MacDonald est un homme qui a un regard sur les tragédies contemporaines (*). Pour lui, comme pour d’autres - on pense à Max Ophuls et à son « Hôtel Terminus » - une des vocations du cinéma est, à partir des traces, de sauvegarder des mémoires. De poser des questions intemporelles.

La fin justifie-t-elle les moyens ? Etre un monstre, qu’est-ce que c’est ? Peut-on pactiser avec le Mal ? Pourquoi les Etats et les services secrets lorsqu’ils utilisent, à des fins politiques, un ennemi le transforment-ils en une espèce à protéger - l’ennemi de mon ennemi serait-il un ami ?

Prendre le risque de ne pas rendre compte n’est-ce pas une façon de rendre prescriptibles des crimes qui ne peuvent l’être ?

En refusant ce risque, « My ennemy’s... » fait œuvre salutaire, à la fois morale et politique.( m.c.a)

(*) il est l’auteur d’un documentaire sur la prise d’otages lors des Jeux Olympiques de Munich en 1972 « One day in September » et d’une bio-fiction du dictateur ougandais Idi Amin Dada « The last king of Scotland »