Drame social
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MUCH LOVED

Nabil Ayouch

Loubna Abidar Danny Boushebel Abdellah Didane Halima Karaouane Asmaa Lazrak

104 min.
14 octobre 2015
MUCH LOVED

Trois ans après la sortie du film
« Les Chevaux de Dieu » où il filmait la transformation de jeunes Marocains
en terroristes, Nabil Ayouch s’attaque à un autre tabou de la société
marocaine, celui de la prostitution. Présenté à Cannes dans le cadre de la
Quinzaine des réalisateurs, « Much Loved » a été applaudi par les
festivaliers. Mais pour l’équipe du film, ces moments de joie et de célébration
ont été de courtes durées. Quelques heures à peine après la projection à
Cannes, des extraits ont commencé à circuler sur Internet provoquant une vague
d’indignation au Maroc où le film a tout simplement été interdit de diffusion.

Mais sans nous attarder plus longuement sur
cet épisode déconcertant, attaquons-nous plutôt à l’objet filmique. Sur le plan
narratif, Much Loved nous dépeint le quotidien de prostituées. À la tombée de la nuit, dans la voiture qui les
emmène sur leur lieu de travail, Noha fait ses recommandations à Soukaïna et
Randa, assises à l’arrière : « Montrez bien vos gambettes, vos
lèvres, vos culs. » Puis en regardant Saïd, leur chauffeur et serviteur,
elle ajoute : « Qu’est-ce que tu regardes ? Tu veux qu’une pute
parle en prose ? ». Ce langage direct témoigne du réalisme avec
lequel le réalisateur a choisi de traiter son sujet, ou plutôt ses sujets. Car
en effet, lorsqu’on y regarde de plus près, le véritable enjeu de ce film n’est
pas tant de mettre en lumière la prostitution au Maroc que de donner l’occasion
à ces femmes d’exister. Chacun des personnages féminins reflète ainsi une part
de ces figures féminines qui existent à Marrakech mais que la société refuse de
voir.

Film cru où la chair se dévoile, les scènes
de sexe n’apparaissent nullement comme le fantasme du réalisateur, comme
c’était le cas dans « La vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche. Ici, elles
viennent nourrir le propos du film. Ainsi, lorsque l’image fragmente les corps
de ces jeunes femmes, cela nous fait parvenir le point de vue des clients qui les
considèrent avant tout comme des objets de désirs sexuels. Mais jamais la
caméra de Nabil Ayouch ne les filme comme des victimes. Ce sont des femmes
fortes, des combattantes qui cristallisent en elles les contradictions de la
société dans laquelle elles vivent. Tolérées et interdites, désirées et
rejetées, Noha, Soukaïna, Randa et Hlima sont à la fois libres de leur parole
et de leur geste mais prisonnières de leur statut. Malgré quelques longueurs et
un manque d’évolution des personnages tout au long du récit, on ne peut que
saluer le travail de réalisation d’un tel film. Les quatre actrices sont
superbes et on ne manquera pas de souligner le talent de Loubna Abidar pour son
interprétation du personnage de Noha.

 

(Nathalie De Man)