Récit initiatique
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MOONLIGHT

Barry Jenkins

Alex R. Hibbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes, Mahershala Ali, Janelle Monáe, Naomie Harris

111 min.
1er février 2017
MOONLIGHT

Little/Chiron/Black, trois surnoms, trois chapitres pour raconter le récit initiatique d’un jeune afro-américain qui grandit dans le quartier pauvre de Liberty City à Miami. Enfant solitaire, il est le souffre-douleur de ses camarades et doit affronter quotidiennement le comportement bipolaire de sa mère toxicomane. Il trouve un peu de répit auprès de Juan et de sa femme Teresa qui l’accueillent chez eux dès qu’il veut s’échapper un moment de cette atmosphère pesante. En grandissant, il découvre son homosexualité qu’il va dissimuler sous une montagne de muscles et de tatouages.

« Moonlight » est un film important, politiquement et sociologiquement parlant, mais pas seulement. D’un point de vue cinématographique, ce film va à l’encontre des clichés et traitent de thématiques universelles telles que l’enfance, le passage à l’âge adulte, la sexualité, etc. Il est aussi un des grands favoris de la cérémonie des Oscars aux côtés de « Hidden Figures » ou encore « Fences ». Tous ces films ont en commun de mettre en avant une vision afro-américaine de l’histoire. Les choses finissent enfin par évoluer à Hollywood. Nous sommes quand même en 2017 … et Donald Trump est au pouvoir … ce qui laisse imaginer tout le travail qu’il reste à accomplir, mais ne perdons pas espoir.

Il s’agit du deuxième long-métrage de Barry Jenkins. En 2008, il avait réalisé « Medicine for Melancholy ». Pour écrire le scénario de « Moonlight », le réalisateur s’est inspiré d’une pièce de théâtre « In Moonlight Black Boys Look Blue » du dramaturge Tarell Alvin MacCraney qu’il a mélangé avec son propre vécu. Les deux hommes ont grandi tous les deux à Liberty City sans se connaître. Mais leur histoire personnelle est assez semblable, ils ont fréquenté la même école, ont grandi avec une mère toxico et sont devenus tous les deux des artistes.

« Moonlight », c’est une expérience esthétique qui offre un regard nouveau et sensible sur l’histoire d’un Noir homosexuel qui grandit dans un quartier difficile de Miami. Incarné par trois acteurs différents à trois moments de sa vie – Alex R. Hibbert (Little), Ashton Sanders (Chiron), Trevante Rhodes (Black) – Chiron est un personnage tout en retenue dont le regard exprime davantage que n’importe quelle parole. Et si entre le début et la fin, sa transformation physique est radicale, au fond, il reste toujours le même. Ce qui est d’autant plus remarquable, puisque à travers ces trois acteurs, on retrouve la même sensibilité.

D’une grande délicatesse, le film ne pose pas de jugement sur les personnages. Si de manière générale, il n’y a pas beaucoup d’espoir au creux de cette histoire, on est face à des moments forts qui laissent échapper une bouffée d’humanisme et aussi d’empathie. Pensons par exemple à cette scène dans la mer où Juan, père de substitution, apprend à Little à nager. Il y a aussi des instants de tendresse entre le personnage principal et sa mère. Car malgré tout ce qu’il peut y avoir de compliqué entre eux, il reste toujours une certaine forme d’amour qui par moment prend l’aspect d’un sentiment de haine, mais qui agit plus comme une protection pour Chiron.

Il est parfois difficile d’exprimer avec des mots ce que l’on peut ressentir face à un film. En l’occurrence, on est face à une œuvre qui n’a pas peur d’oser, de poser des choix esthétiques, de laisser la caméra danser et tournoyer autour des personnages comme si elle effectuait une sorte de chorégraphie. Mais tous ces choix cinématographiques contribuent à la force et à la beauté de ce film, tout comme la bande-son. C’est le genre de film dont on a besoin, encore plus aujourd’hui. « Moonlight » résonne comme un cri muet entendu par toute une salle de cinéma.

(Nathalie De Man)