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MOMMY

Xavier Dolan

Anne Dorval, Suzanne Clément, Antoine Olivier Pilon

134 min.
8 octobre 2014
MOMMY

Mommy est LE film qui créa la surprise au dernier Festival de Cannes. Non pas parce qu’il fut applaudi en séance et ovationné durant douze minutes après sa projection (un fait historique dans les annales cannoises), ni parce que son réalisateur, Xavier Dolan, se partagea le Prix du Jury avec Jean-Luc Godard pour son Adieu au langage … mais bien parce qu’à la déception du plus grand nombre, il ne fut pas couronné de la Palme d’Or. (Lire notre interview d’Anne Dorval)

Osons le mot, Mommy est un chef d’œuvre car il effleure du bout des doigts la quintessence de la perfection.

Mommy , c’est la célébration du courage, de l’espoir et de l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils ; Mommy , c’est Die (Anne Dorval), un prénom surmonté d’un cœur sur le i comme s’il nous indiquait « I love or I die » ; c’est le cri déchirant ou silencieux de Steve (Antoine Olivier Pilon[ i ]), un adolescent, qui sèche les larmes de sa mère et veut la rendre heureuse ; Mommy, c’est un cadeau, un pendentif qu’un enfant offre à sa mère en espérant lui faire plaisir ; Mommy , c’est la douleur étouffée de la mystérieuse Kyla (Suzanne Clément). Mommy c’est surtout la réunion évanescente de trois personnalités qui, à travers l’alchimie de l’amour et de l’amitié, fusionnent en une seule entité magique : LA mère.

L’histoire tient pourtant à un fil. Traitée par d’autres, elle aurait d’ailleurs pu prendre la tournure d’un drame social suffocant et sans rayonnement[ ii ]. C’est tout l’heureux contraire auquel son jeune réalisateur aboutit. « Ce n’est pas parce que l’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver ; l’amour n’a rien à voir là-dedans, Madame , assène l’une. … Les sceptiques seront confondus.... Ça arrive pas dans la vie d’une mère d’aimer moins son fils , répond l’autre. » Ces quelques dialogues, tirés des bandes annonces de Mommy , dévoilent la ligne de force de son sujet sans pour autant révéler la déferlante émotionnelle que le film suscite. Car, si chef d’œuvre il y a, Mommy tire toute sa puissance d’une véritable étreinte émotionnelle (voire d’un étranglement) qui ne lâche jamais prise. La palette des qualités cinématographiques que Dolan déploie pour atteindre son but est prodigieuse : originalité du cadrage, mise en scène totalement aboutie[ iii ], fluidité du montage, esthétique photographique sublime, maîtrise parfaite de la lumière, musique intra-diégétique, excellence des dialogues et un trio magistral d’acteurs époustouflants.

En optant pour un audacieux ratio 1 : 1 (un cadre parfait), André Turpin, le directeur de la photographie, instaure d’emblée une proximité affective exceptionnelle entre les protagonistes de Mommy et son public : à travers les fenêtres du regard, la caméra capture, à répétitions, l’âme de ses personnages autant qu’elle transperce le cœur du spectateur non averti. Et lorsque, brusquement, le cadre s’élargit, les images respirent avec l’amplitude de la Liberté, insufflant aux héros de Mommy le regain de tous les possibles.

Irisés par le prisme d’une lumière minutieusement captée, Die, la mère à la dégaine hautement sexuée et à l’accoutrement haut en couleurs, Steve, le fils charismatique, hyperactif et violent, et Kyla, l’énigmatique voisine bégayante, rayonnent tous trois d’une égale beauté, qui émane tout autant de leurs forces que de leurs fragilités.

Les dialogues intenses, drôles ou tendres sont rythmés par un argot québécois qui leur colle à la peau et leur sied à merveille. C’est là un bel adieu au langage , lequel
concourt à faire de ces personnages marginalisés des êtres qui pianotent allégrement sur tous les registres de l’universelle partition humaine. Car, Die, Steve et Kyla vivent, chantent et dansent sur toutes les gammes de l’indicible en faisant vibrer les cordes de notre sensibilité à travers la résonance prégnante de leur univers musical. Dido, Sarah McLachlan, Andrea Bocelli, Céline Dion, Oasis ou Lana Del Rey : c’est la playlist de Die et Steve for ever ; c’est là où siège toute la réverbération invisible de leurs joies et de leurs fêlures.

« Je crois que je serai toujours un cinéaste de femmes », déclarait Xavier Dolan en mai dernier à Cannes. Si ce n’est point là un dit vain, que le Divin le bénisse !

 

( Christie Huysmans )

[ i ] Antoine Olivier Pilon fit déjà en 2011 une brève apparition dans le film Laurence Anyways de Xavier Dolan ; il collabora également avec Dolan pour le très controversé vidéoclip College Boy d’Indochine (un clip susceptible de choquer mais à voir).

[ ii ] Le scénario de Mommy trouve sa source dans un fait divers que Xavier Dolan lut par hasard dans la presse quelques mois après avoir réalisé « J’ai tué ma mère » en 2009. L’article évoquait l’histoire d’une mère contrainte d’abandonner son enfant de sept ans aux soins d’un hôpital en raison de son extrême violence. Un fait réel qui le marqua et s’ancra en lui au point de vouloir absolument en faire un film. En dépit de ses recherches, Xavier Dolan ne retrouva pas l’article en question et ne put se documenter plus amplement sur cette histoire.

[ iii ] Admirateur de Paul Thomas Anderson pour sa diversité cinématographique, Xavier Dolan se dit très proche de Gus Van Sant dans son approche de réalisateur. Ce n’est toutefois pas dans le cinéma mais dans d’autres disciplines artistiques qu’il dit puiser son inspiration lorsqu’il réalise un film. Pour Mommy ,c’est le morceau Experience de Ludivico Einaudi qui déclencha l’écriture du scénario, et c’est un livre de photographies de Nan Goldin, The ballad of sexual dependency , qui l’inspira visuellement.