Plus qu’un western
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Coup de coeurMEEK’S CUTOFF ou LA DERNIERE PISTE

Kelly Reichardt (USA 2011)

Michelle Williams, Zoe Kazan, Shirley Henderson, Bruce Greenwood, Paul Duno

104 min.
23 mai 2012
MEEK'S CUTOFF ou LA DERNIERE PISTE

Un style pour une intention.

Le style, on y est habitué depuis les deux premières réalisations de la cinéaste, appartient à une école. Celle de Mies Van Der Rohe en architecture, de Robert Bresson et de Gus Van Sant en 7ème art qui préférent privilégier le moins au plus - less is more. (*)

L’intention, on y est aussi habitué depuis ces deux mêmes réalisations, s’apparente à celui de la revisitation.

Revisitation ou transgression ?

Dans « Old joy » c’est le buddy movie (le film de copains) qui est réinventé. Dans « Wendy & Lucy » le road movie redéploie ses ailes en faisant de l’exil au XXIème siècle la réponse au dénuement affectif et matériel.

Jamais de pathos chez Kelly Reichardt. Ni de redondance. Juste de la tenue, de la sobriété pour souligner que même dans les situations les plus délicates et les plus difficiles les êtres humains peuvent conserver leur dignité et faire de la notion de respect d’eux mêmes et de leurs prochains le tremplin d’un lendemain meilleur.

Avec « Meek’s cutoff », c’est le western qui subit un lifting. Aussi inattendu que réussi par la volonté de la cinéaste de revoir les paramètres yang du genre (besoin de conquête, refus de s’avouer battu, agressivité latente) à la lumière d’une sensibilité yin.

Qui sait privilégier la lenteur, la tolérance, l’entraide, la confiance. Les gestes répétitifs du quotidien.

L’envie de voir en l’Autre non pas un ennemi mais un allié.

En 1845, trois familles, guidées par un trappeur aussi incompétent que têtu, Stephen Meek, traversent l’Oregon. Réussiront-elles à rejoindre l’Ouest idyllique auquel elles aspirent ?

Simple dans sa narration, épuré dans sa mise en scène, habité par une Michelle Williams impressionnante, hiératique par la hauteur de son point de vue, « Meek’s cutoff » est un enchantement visuel - comme l’a été en son temps « Heaven’s gates » de Michael Cimino. 

La beauté des plans, le jansénisme du cadrage, la rareté des dialogues, la pureté du fond sonore décrassé d’une bande son inutile se coalisent pour qu’à chaque pas des personnages, à chaque tour de roue des wagons bâchés de blanc le spectateur se rappelle ce que beaucoup ont oublié : l’importance du rôle de la femme dans le mythique « Go west young man ». (**) 

Kelly Reichardt c’est l’anti Elfriede Jelinek. Si elles questionnent toutes les deux le principe de la domination masculine, l’une le fait avec un fanatisme qui peut irriter, l’autre avec une subtilité qui, par le fait de sa douceur entêtante, fait autant sens que mouche.

Dans « The hurt locker » Kathryn Bigelow souligne, avec pertinence, que la guerre, chez certains soldats, agit comme une drogue. Elle a remporté le 1er Oscar pour un film réalisé par une femme.

Kelly Reichardt fait de l’intelligence féminine la clé pour sortir d’une impasse qui, sans son approche novatrice, pourrait s’avérer fatale. Pourquoi n’a-t-elle droit qu’à quelques séances de projection au studio 5 de Flagey ?

Son univers recèle et révèle des promesses d’avenir qui mériteraient tellement plus. (mca)

(*) Robert Browning dans son recueil de poèmes "Men & women".

(**) La piste des pionniers vers la Terre promise n’a jamais été une partie de plaisirs comme le souligne France Bequette dans son saisissant roman "Ma grand-mère cannibale" (éditions Prisma)