Violence +++
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MALA NOCHE

Gus Van Sant (USA 1985 - distributeur : Cinéart)

Tim Streeter, Doug Cooeyate, Ray Monge

80 min.
1er mars 2007
MALA NOCHE

Interrogé sur sa passion pour la couleur noire, Pierre Soulages répond qu’il en « aime la gravité, l’évidence, la radicalité ».

L’utilisation qu’en fait Van Sant prend toute sa force de son contraste avec le blanc dont il fait ressortir la fragilité comme si la chatoyance de l’obscur, en prenant appui sur des stries de lumière, donnait à ce premier essai l’hésitation, le bégaiement visuel et matriciel de toute une œuvre, ö combien magistrale, à venir (de « My own private Idaho » à « Last days »).

Coloriste de la pénombre et de la clarté, si Van Sant revendique sa filiation au Maître Welles (notamment celui de "La soif du mal") et à la nouvelle vague française, il a été pour d’autres une source d’inspiration - pour Sharunas Bartas par exemple et ses descriptions sombres et minimalistes de la vie quotidienne en Lituanie.

Toute la forme et le fond de l’esprit « santien » sont déjà présents dans " Mala noche" : le cadrage acéré et l’homosexualité, la mise en scène décharnée et l’intensité des passions, l’expressivité des visages et l’incommunicabilité des âmes.

Inspiré d’une nouvelle proche du journal intime et autobiographique d’un poète de Portland/Oregon, Walt Curtis, « Mala Noche » raconte ou plutôt dessine les sentiments amoureux, violents et délicats, d’un jeune homme blanc pour un adolescent émigré mexicain.

Représentation d’un amour trop extrême pour être durable, « Mala Noche » est aussi le portrait d’une Amérique mi-rurale mi-urbaine peu accueillante pour les marginaux, ne leur laissant que la nuit comme possible terrain d’une existence minée par la drogue, l’alcool et l’interlope d’hasardeuses rencontres.

Sans être un cinéma purement méditatif, par l’élongation qu’il donne au temps, Van Sant ceint le spectateur d’une ambiance à la fois moite et désespérée dans laquelle le marchandage des corps accompagne la fulgurance des cœurs.

Chez Van Sant, comme chez Coppola dont le « Rumble fish » est quasiment contemporain, les nuages sont expressifs et rapides, la solitude des personnages sans issue, les rues encombrées d’un brouillard qui mélancolise les choses. Les rares inserts en couleurs renvoyant à un bonheur dont certains seront toujours exclus - comme Dustin Hoffman et John Voight dans « Midnight cowboy » de Schlesinger.

Provoquant comme du Rimbaud, poignant comme du Verlaine, « Mala noche » est une ode à un rageur besoin de liberté qui avortera, par la mort d’un personnage sur un bout d’asphalte, gommant à tout jamais l’idéal de vie de ceux qui restent.

Film-poème, film-photographie (notamment celles de Larry Clark), film-de-rue et film-de-sexe,
« Mala Noche » est un peu tout cela. Il a mis plus de 20 ans à sortir en Belgique. Peu importe, l’important c’est qu’il soit pour deux mois à Flagey, enfin sorti des ghettos des festivals gay auxquels semblait le condamner « le visage incroyablement beau et béat d’un adolescent mexicain ne connaissant rien à rien ». (m.c.a)