Cinéphile
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

LOS MUERTOS

Lisandro Alonso (Argentine 2004 - Prix de l'Age d'Or 2004 - distributeur : Flagey

Argentino Vargas

78 min.
17 mai 2006
LOS MUERTOS

Film matière comme on pourrait le dire d’une toile de Bram Bogaert, « Los Muertos » kidnappe et subjugue. A l’inverse, il peut assoupir et rebuter celui qui n’y accroche pas.
Film organique, aquatique, pulsionnel qui bat au rythme d’une promenade languissante dans une nature dont la pesanteur tropicale rappelle à la fois l’errance des héros d’Apichatpong Weerasethakul dans « Tropical Disease » et les premières images du « Thin Red Line » de Terence Malik.

Vargas, après y avoir purgé une lourde peine pour un double fratricide jamais avoué mais souvent évoqué, sort de prison. Il entame un voyage en canoë (comme Johnny Depp dans « Dead Man » de Jim Jarmush) dans les Corrientes, cette région pauvre d’Argentine qui ressemble aux étendues stagnantes de la Louisiane.

Dans la mouvance d’un Peter Handke pour qui « Le lieu donne le récit », Alonso s’attache et nous attache aux méandres d’une rivière, aux feuillus qui l’habitent, à ses rives molles qui bordent et accentuent la marginalité mystérieuse de celui qui entreprend ce voyage à l’objectif précisé (est-ce pour cela qu’il est vraisemblable ?) : retrouver sa fille qu’il n’a plus vue depuis de longues années.

Le voyageur - on pourrait l’appeler le dériveur tant sa démarche est tantôt déterminée tantôt hachurée - impressionne la rétine par son impassibilité, sa politesse réservée et une douceur qui met mal à l’aise.

Qui est-il vraiment ? Un être frustre, un homme monolithique ou un personnage dont l’indifférence
masque des émois aussi marécageux que les eaux qu’il traverse à la façon d’un psychopompe hanté par les âmes de ceux qu’il a tués.

Le cinéma d’Alonso est marqué par la rupture, la brisure d’une réalité qui, tout à coup et quand on ne s’y attend pas (quoique après coup on se dit que dès le début du film on est prévenu de sa fin), laisse jaillir une violence réfractaire à toute explication rationnelle.

Moins un regard sur l’Amok (« Cette folie des régions tropicales qui peut saisir, sans crier gare, tout un chacun » – Stefan Zweig) qu’un travail sur l’animalité qui gît en tout homme et qui peut surgir avec une irrépressible acuité faisant de tout meurtrier un être dangereusement in repérable.

Film fascinant et hypnotique, « Los Muertos » propose une expérience cinématographique hors norme faite de mouvements et de pauses brusques. Et ce n’est pas parce que des spectateurs se sont momentanément endormis, durant la projection, comme anesthésiés par son ambiance délétère, que sa force en est diminuée. En effet « Los Muertos » donne autant à voir qu’à ressentir.
Et la lassitude peut être un de ces ressentis auquel Alonso réussit magnifiquement à donner chair. (m.c.a)