Drame
3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

LES TEMOINS

André Téchiné (France 2007 - distributeur :Benelux Film Distributors)

Emmanuelle Béart, Julie Depardieu, Michel Blanc, Sami Bouajila, Johan Libéreau

115 min.
28 mars 2007
LES TEMOINS

André Téchiné, par la grâce de son cinéma ambitieux, ne fait pas uniquement de son spectateur un cinéphile, il le transforme en être humain ouvert à l’émotion et à la sollicitude.

Les années mil neuf cent septante ont été baptisées par Françoise Giroud de « parenthèse enchantée »(*) parce qu’elles étaient celles d’une sexualité que la pilule, la légalisation de l’avortement et l’ignorance des ravages à venir du sida rendaient insouciantes.

Les années mil neuf cent quatre-vingt sont celles de la débandade, de l’effroi et du deuil. Au cours desquelles il faudra apprendre à vivre avec un nouvel ennemi.

Comme souvent chez Téchiné, les scènes ont, chacune, leur poids de sens. Elles ne sont pas gratuites mais insérées dans un propos rythmé en 3 temps : les beaux jours, la guerre et le retour de l’été. Ce qui donne au film le tempo d’une valse amère, mélancolique et en même temps pleine d’espoir.

Comme chez Kim-Ki duk (**), Téchiné sait que quoiqu’il arrive, la vie continue et la belle saison est destinée à revenir. Même si certains ne sont plus là, d’autres restent pour témoigner de l’histoire des disparus.

Ce choix de garder la mémoire du passé est celui de Sarah qui décide de témoigner, par un livre, de l’histoire du jeune Manu, mort d’avoir aimé trop imprudemment. Ce parti pris de conserver une trace de ce qui a été est aussi celui du cinéaste Téchiné qui reconnaît avoir plongé dans ses souvenirs pour donner à son film ce ton de chronique sincère qui fait de lui une sorte de moderne Villardhouin. Dire, écrire ou filmer pour ne pas oublier.

Si la réaction des femmes est de vouloir transmettre, celle des hommes est plus axée sur une volonté réactive. Ainsi l’engagement d’Adrien à mettre ses compétences de médecin à lutter contre le sida ou d’un policier à cureter un quartier de son réseau de proxénètes.

Sans se vouloir un constat sociologique, « Les témoins » rappellent que le début de l’épidémie a été synonyme de confusion entre immoralité et essaimage du virus (***). Une philosophie de la honte est apparue, isolant les malades de leur famille, de leurs amis tandis que la nécessité de prendre des mesures de protection, dont celle du préservatif, clôturait la digression arc-en-ciel soulignée par la fondatrice du magazine « L’Express ».

Pourtant « Les témoins » n’est pas un film pessimiste. Il n’est pas gai non plus, il est mieux que cela. Il perle de vie. D’une vie consciente et décidée qui permettra à Sarah de se mettre - enfin - à aimer son enfant et à Adrien d’accepter que le bonheur c’est peut être simplement d’être vivant.

Les acteurs contribuent, par leur jeu naturel et complice, à la qualité du film. Un bonus particulier à Michel Blanc aussi formidable que dans « Monsieur Hire » ou « Tenue de soirée », au jeune Johan Libéreau dont la luminosité irradie ces « Témoins » comme elle avait éclaboussé les « Douches froides » d’Antony Cordier . Il ne faut pas oublier Julie Depardieu dont la présence douce fait d’elle une sœur présente comme aime les décrire Téchiné, ce chantre discret de la sororité au cinéma.(« Ma saison préférée », « Les sœurs Brontë »). (m.c.a)

(*) expression devenue le titre d’un film de Michel Spinosa avec Karin Viard et Vincent Elbaz.
(**) « Spring, summer, autumn, winter and … spring »
(***) appelé « le cancer des homos »