Adaptation d’un livre
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LES AMOURS D’ASTREE ET CELADON

Eric Rohmer (France 2007 - distributeur : Victory Films)

Stéphanie de Crayencour, Cécile Cassel, Andy Gillet

109 min.
12 septembre 2007
LES AMOURS D'ASTREE ET CELADON

Rohmer n’a-t-il vraiment écrit qu’un seul livre, « Elisabeth » (*) ?
La question est moins oiseuse qu’il n’y paraît tant son cinéma, ses scénarios ressortent au genre littéraire. Et pourtant tous ses films sont là pour le prouver : Rohmer, en raison même de son rapport essen c ielle à l’image, est un cinéaste. Et l’un des meilleurs d’entre eux.

Alors Rohmer ? Hybride ?

Même si elles sont inspirées de l’œuvre d’un autre - « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé (1557-1625) -, « Les amours… » pulsent et respirent au rythme élégant et précis du réalisateur.

Aux temps anciens des Druides et des Gaulois, sur des rivages bucoliques, un berger (Céladon) et une bergère (Astrée) s’aiment. Elle croit qu’il lui est infidèle. Pour récupérer l’affection de sa belle, Céladon se soumet aux épreuves de la retraite (sentimentale) et du déguisement en femme.

Alors Rohmer ? Ringard ?

Et bien que nenni. Sous l’apparence d’une fiction séduisante de naïveté, se cachent les mêmes tourments et passions que ceux explorés par le cinéaste, avec son habituelle audace académique, dans ses films costumés « contemporains ».

Ces pastoureaux d’une autre époque sont les repères, comme le sont les personnages des « Six Contes moraux » d’un jeu du Tendre qui, sous tous les siècles, comme sous toutes les latitudes, se déploie entre dépit, jalousie, érotisme et retour de flamme.

Alors Rohmer ? Eternel ?

Certes mais pas seulement. Il est surtout un créateur culotté qui, à une époque - la nôtre- où les princes parlent comme des charretiers, n’hésite pas à faire parler des bergers comme des rois.

Orchestrateur subtil des questionnements du cœur, il se révèle dans « Les amours… » un piquant explorateur des corps. Ne reculant pas à souligner, avec une malicieuse ambigüité, l’inattendue corporalité du stratagème utilisé par Céladon pour se rapprocher d’Astrée.

Alors Rohmer ? Charnel ?

La grâce virgilienne des paysages et celle virginale des jeunes filles donnent à ce film une harmonie qui, parce qu’elle n’échappe ni à l’afféterie ni à l’esprit blagueur, flirte avec une beauté parfois ridicule, souvent décalée et toujours intrigante.

Les acteurs jouent avec une déclamante légèreté qui sonne faux dans le ton mais juste dans l’effet séducteur. Le jeune Céladon (Andy Gillet) a le charme androgyne de Fu’ad Ait Aattou , le Ryno de Marigny d’ « Une vieille maîtresse » de Catherine Breillat et la finesse sensuelle de Louis Garrel (« Les chansons d’amour » de Christophe Honoré) - trio annonciateur de l’émergence d’un nouveau type de beauté masculine mâtinée de finesse féminine ?

Ce n’est pas la première fois que Rohmer s’intéresse aux classiques (**), mais c’est la première fois qu’en moins d’une demi année sortent, sur les écrans, deux autres adaptations respectueuses de la rigueur de la langue littéraire (« Ne touchez pas à la hache » de Rivette, inspiré de « La duchesse de Langeais » de Balzac et le déjà cité « Une vieille maîtresse » à partir d’un texte de Barbey d’Aurevilly).

Rohmer a, depuis 10 ans, dépassé l’âge de lire Tintin (de 7 à 77 ans). Avec « Les amours », il nous convainc que son nom rime, sans conteste, avec « toujours vert » (***). (m.c.a)

(*) publié en 1946 et réédité sous le titre de « La maison d’Elisabeth » aux éditions Gallimard
(**) « Perceval le Gallois » de Chrétien de Troyes, « La marquise d’O » d’Heinrich Kleist.
(***) pour en savoir plus sur le réalisateur, vient de paraître aux Presses universitaires de Rennes un « Rohmer et les autres » sous la direction de Noël Herpe.