Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurLE SILENCE DE LORNA

Jean-Pierre et Luc Dardenne (Belgique/France 2008 - distributeur : Cinéart)

Arta Dobroshi, Jérémie Renier, Fabrizio Rongione

105 min.
27 août 2008
LE SILENCE DE LORNA

Il y a un changement manifeste dans l’œuvre des frères Dardenne avec l’apparition de ce nouvel opus. Comme un tournant qui s’enclenche au travers du « Silence de Lorna », tant au niveau de l’histoire qui y est contée qu’en terme de choix cinématographique.

Une transformation qui offre un renouveau essentiel, parce qu’il donne un souffle neuf au cinéma social des frères Dardenne. Un cinéma qui s’était peut-être un peu reposé sur ses acquis, et qui soudain, se renouvelle avec une force d’autant plus prenante qu’elle est intègre.

Les réalisateurs poursuivent leur parcours au sein de l’univers défavorisé de la région de Liège, en suivant cette fois une jeune immigrée albanaise faisant des mariages blancs afin de pouvoir ouvrir un snack avec l’homme qu’elle aime. 

Notons déjà le déplacement géographique opéré avec ce nouveau long métrage : on quitte les paysages de ruines métalliques de Seraing pour pénétrer Liège même. Ce changement de décor implique une mutation de fond.

On n’a en effet plus l’impression d’être confronté à la description d’un milieu, d’une classe, mais plutôt invité à suivre le trajet de Lorna, son combat pour s’en sortir, dans tous les sens du terme.

Cette lutte passe, et c’est ici un point commun avec les autres films des frères, par une attention centrée sur le corps. Le corps comme support des affaires, le corps vendu en mariage falsifié. Mais aussi le corps comme dernier rempart contre cette instrumentalisation du faible.

Car c’est bien via son corps que Lorna s’opposera. En se donnant à un homme. En y ancrant un enfant. En le posant comme le double de sa propre conscience, avec qui elle discute, s’entretient des choix qu’elle doit poser. 

Ce corps à corps avec Lorna engendre une narration sensiblement différente de celles que l’on avait rencontrée dans les précédents films des frères. Une histoire plus lancinante, dans laquelle Lorna se meut sans se précipiter, au contraire des protagonistes des réalisations antérieures. 

Une narration qui, en tension avec cette lenteur existentielle, est contrastée par l’apparition soudaine d’ellipses inattendues. Ces fractures dans le temps narratif du film engendrent un rapport particulier au récit. En l’amputant de faits forts, en le coupant de moments-clés, les réalisateurs recentrent encore un peu plus la narration sur le personnage de Lorna, en fonction de qui tout s’organise, se déploie.

En regard de ces modifications narratives, les frères Dardenne opèrent également des transformations au niveau de leurs choix cinématographiques. Ils abandonnent en effet le 16 mm, support léger et maniable, et passent au 35 mm, dispositif plus lourd, moins mobile.

De ces changements techniques découlent des modifications en terme de réalisation même. Terminés les suivis caméra à l’épaule, gigotants et tremblants. Désormais, c’est une caméra posée, voir fixe, qui capte les personnages, les appréhende dans leur vécu, les suit dans leurs mouvements.

Une captation ancrée dans le sol, ancrée dans les douleurs des personnages, les révélant de façon encore plus forte, encore plus palpable, parce que s’incrustant dans la chair même.

Cette image posée, amarrée, révèle la brutalité de notre réalité actuelle avec une force qui laisse désarmé. Mais elle permet aussi aux dernières parcelles d’humanité de s’y immiscer. Uniques remparts qui persistent, qui s’accrochent.

Une humanité qui s’impose, comme s’impose Lorna, avec le visage de la détermination et les gestes de la fragilité. (Justine Gustin)