Comédie stylée
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LE PONT DES ARTS

Eugène Green (France 2005 - distributeur : Ecran-Total)

Adrien Michaux, Natacha Régnier, Alexis Lioret, Denys Podalydès, Olivier Gourmet

125 min.
1er mars 2006
LE PONT DES ARTS

Si l’on transposait à la cinématographie la distinction littéraire qui oppose, quant à la manière d’écrire, les stendhaliens aux flaubertiens, il ne fait aucun doute que « Le pont des arts » appartiendrait à la seconde catégorie tant ce film accorde toute prééminence au style et à
la parole dogmatiquement articulée.

Peu de matière narrative, si ce n’est celle de deux couples mal assortis et de jeunes gens mélancoliques et précocement désabusés.

Ce film porte un regard austère, cynique et parfois, volontairement ou pas, cocasse (*) sur ce petit monde germanopratin englué dans la lecture de Heidegger ou la pratique janséniste de la musique baroque au point d’en oublier que vivre peut être un plaisir naturel qui se passe d’afféterie.

« Le pont des arts », déjà célébré par Brassens mais sur un octave plus fripon, par ses mélanges de futile et de savant, ses défis lancés par l’insolite à la raison, désarçonne autant qu’il crispe.

La préciosité des dialogues, les enfermements des personnages dans une immobilité statufiante, dépouillent le film de ce qui fait la quintessence matérielle du cinéma : le mouvement.

Et pourtant, le saisissement qui vous étreint l’âme à l’écoute du « Lamento della Nympha » des « Amours triomphantes » de Monteverdi est là pour vous rappeler que les êtres humains sont fragiles, qu’il ne faut pas les malmener sous peine de les pousser à l’irrémédiable.

Les références à la rigueur bressonienne et au maniérisme durassien, à la magie de la voix humaine (« Diva » de Beinex) qui peut vous réconcilier avec la vie, à la beauté ornementale de Paris (**) (« A bout de souffle » de Godard ou « Nuit et jour » de Chantal Akerman) font aussi de ce film un quiz stimulant pour les neurones et permettent une agréable plongée dans des souvenirs de cinéma enfouis, loin, en nos mémoires. (m.c.a)

(*) est-ce que Podalydès est affublé du surnom d’ « Innommable » en hommage à Beckett ou à l’ennemi d’Harry Potter « He who must not be named ? »
(**) la Mairie de Paris organise une intéressante exposition sur la Capitale au cinéma jusqu’au 30 juin