Policier
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LE DEUXIEME SOUFFLE

Alain Corneau (France 2007 - distributeur : les Films de l'Elysée)

Daniel Auteuil, Philippe Nahon, Michel Blanc, Jacques Dutronc, Monica Bellucci

155 min.
31 octobre 2007
LE DEUXIEME SOUFFLE

« Le deuxième souffle » ou l’éternelle dispute au sens médiéval de débat, entre le talent et le savoir-faire.

En 1966, Jean-Pierre Melville adaptait le livre, écrit en 1958, par José Giovanni. Avec ce sens aigu de l’épure qui caractérise à la fois sa façon de poser la caméra, de creuser une narration et de cerner ses personnages.

A la ligne traitée avec l’élégance froide et rigoureuse d’un Mondrian, Corneau préfère la spirale. Celle d’un Le Caravage qui souligne l’intonation dramatique d’un propos par un jeu de rapports entre le naturalisme du trait et le décalage du rythme. Tantôt resserré, tantôt ralenti.

Gustave Minda, dit Gu, s’évade de prison. Avant de quitter le pays, il participe à un dernier vol de fourgon blindé. L’entreprise tourne au drame. Morts d’hommes, règlements de comptes entre malfrats et confrontation d’un caïd à ce qu’il considère comme son bien le plus précieux : son honneur.

C’est plutôt une bonne idée de reprendre une œuvre, celle de Giovanni, considérée par Jean Cocteau comme maîtresse, et de la confronter à ce que le polar, au fil des cinquante années écoulées, est devenu au cinéma. Genre que le cinéaste connaît bien pour l’avoir abordé avec maîtrise dans « Série noire », académisme dans « Le choix des armes » et efficacité dans "Police Python".

« Le deuxième… » a ses propres repères : moins un face à face de caciques qu’une envie faire un coup qui rapporte gros, moins un itinéraire d’homme qu’un engluement dans une ambiance sombre, expressivement violente, moins une capture de situations dans leur grandeur tragique qu’une occasion à saisir d’architecturer, aux goûts du jour (*), des paramètres narratifs de toujours (la cavale, les rapports policiers/truands, la femme fatale, la parole donnée, le carnage final qui rappelle la fin du « Carlito’s way » de Brian de Palma…)

Corneau est un cinéaste courageux. A sa façon souriante, affable et résolue il parcourt des sentiers qui ne sont pas courus.
Il a remis la viole de gambe à l’honneur dans « Tous les matins du monde ». Il a donné de l’Inde dans « Nocturne indien » l’ image d’un pays carnivore, bien éloigné de tout affadissement touristique. Le premier, il a réussi à donner formes visuelles aux extravagances flamboyantes d’Amélie Nothomb dans « Stupeur et tremblements ».

En conséquence le voir se confronter à ce monument du cinéma qu’est le film de Melville n’avait rien du projet extravagant. Il pouvait avoir le souffle pour s’y mesurer.

Le souffle, les moyens financiers et les acteurs puisqu’il a fait appel à une partie du gratin du 7ème art français. Que ce gratin soit reconnu - Daniel Auteuil, plus marginal - Philippe Nahon, Jacques Bonnafé ou en devenir - Nicolas Duvauchelle.

Hélàs, dès les premières images, le ton est donné. Sans relief dans le traitement des scènes de tension, trivial dans la revisitation muséale de la France des années 1960, lourd dans la gestion scénaristique et peu inspiré dans la direction des comédiens.

Thierry Jousse dans le « Libération » du 24 octobre, plus élogieux que la plupart de ses confrères dans son appréciation du film, lui trouve des allures presque ruiziennes.

Quoique nettement moins enthousiaste, s’il s’agit d’indiquer une ligne au « Le deuxième… » on la qualifierait de … darwinienne.

En effet dans ce monde plombé par l’incapacité d’un gangster à moderniser sa vision de la truanderie, basée sur un code d’honneur qui emprunte à l’art du mourir dans l’honneur du « Hagakure » (**) de Yocho Yamamoto, seuls s’en sortent ceux qui savent s’adapter.

Orlof (un Jacques Dutronc dont le seul mérite est, pour une fois, d’être parfaitement audible)
et Manouche (une Bellucci étrangement peroxydée ***) qui, parce qu’elle a le knack pour changer de partenaire à la mort de ses protecteurs, sont des illustrations que continuer implique de changer.

Avec « Le deuxième souffle… » de Corneau, on est bel et bien au XXIème siècle. Pas de nostalgie,
un souci de montrer les malfrats tels qu’ils sont : des tueurs, peu ou pas de fantasmes sur leurs codes de vie, un réalisme à ce point exacerbé qu’il en devient inutilement baroque.

De l’hyperbole, de l’appuyé (notamment dans les canardages) et du redondant. Presque parfois du « Star’ac » dans sa façon de traiter artificiellement le réel. (m.c.a)

(*) les ralentis et les brumes de John Woo, une arme dans chaque main à la Johnny Too, les couleurs terre de Sienne de Wong Kar-Wai, la violence sanglante des fusillades à la Tsui Park etc….
(**) porté au cinéma par Jim Jarmush dans « Ghost dog : the way of the samouraï »
(***) quel sens donner au fait que ni Melville, ni Corneau (ce dernier se porte pourtant fort de coller au texte de Giovanni) ne respecte la couleur, indiquée par l’écrivain, des cheveux de Manouche - page 23 de l’édition en livre de poche en collection "Carré noir" - : le roux, porteur en lui-même de toute une ardente mythologie ?