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LE CIEL ATTENDRA

Marie-Castille Mention-Schaar

Sandrine Bonnaire, Noémie Merlant, Clotilde Courau, Naomi Amarger, Zinedine Soualem

100 min.
2 novembre 2016
LE CIEL ATTENDRA

Sonia, 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour garantir à sa famille une place au paradis. Mélanie, 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un « prince » sur internet. Elles pourraient s’appeler Anaïs, Manon, Leila ou Clara, et comme elles, croiser un jour la route de l’embrigadement. Pourraient-elles en revenir ?

Après « Les Héritiers » (2014), Marie-Castille Mention-Schaar nous revient avec un film fort et tout en justesse sur la radicalisation. Au cœur de la démarche de la réalisation de ce film, il y a ce besoin de comprendre pourquoi et comment des adolescentes se retrouvent à vouloir rejoindre Daesh. Pour préparer son long-métrage, la réalisatrice a contacté Dounia Bouzar, anthropologue française à l’origine de la création du CPDI (Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam). Elle l’a suivi pendant des semaines et a rencontré des jeunes filles qui s’étaient radicalisées.

Pour mettre en scène ces histoires, la réalisatrice a choisi de développer en parallèle deux récits, celui de Sonia, incarnée par Noémie Merlant, en voie de déradicalisation et celui de Mélanie, interprétée par Naomie Amarger, qui se radicalise petit à petit au cours du film. Le spectateur se retrouve face à deux discours, celui du rabatteur qui s’adresse à Mélanie et qui est déconstruit, en parallèle, par celui des intervenants de l’association musulmane qui s’entretiennent avec Sonia. Au niveau de l’esthétique, le film joue beaucoup avec la luminosité. Les séquences avec Sonia, en voie de déradicalisation, vont s’emplir de lumière alors qu’inversement, les scènes avec Mélanie vont devenir de plus en plus sombres.

Contrairement au film « La route d’Istanbul » (Rachid Bouchared, 2016), « Le ciel attendra » se focalise avant tout sur le vécu de ces jeunes filles, et non pas uniquement sur celui des parents impuissants face aux choix de leur enfant. On suit néanmoins entre les deux histoires des adolescentes, le parcours d’une mère, interprétée par Clotilde Courau, impuissante face au départ de son enfant.

On voit aussi à travers ce film, comment Daesh se sert du cinéma comme outil de propagande en véhiculant ses vidéos sur Internet pour convaincre de futures recrues. Mais cet outil peut être retourné contre le groupe État Islamique. Pour plusieurs raisons, il est bien sûr toujours risqué de s’attaquer au sujet « Daesh ». Dernièrement, nous avons pu assister à la naissance de plusieurs films (fictions et documentaires) qui osaient toucher du doigt ce sujet brûlant. On a aussi pu observer que certains ont été ou ont failli être déprogrammés suite à l’actualité. Citons à titre d’exemple « Made in France » de Nicolas Boukhrief, qui devait sortir le 18 novembre 2015, soit 5 jours après les attentats de Paris, et qui finalement, a été déprogrammé et n’est sorti que le 29 janvier en VOD.

Aux États-Unis, après les attentats du 11 septembre, il y a aussi eu toute une série de censures. Par exemple, dans la bande-annonce du premier « Spider-Man », les tours jumelles qui étaient visibles, ont été supprimées. Ce n’est que quelques années plus tard que le cinéma américain a commencé sa « thérapie audiovisuelle » via les films de genre (science-fiction au fantastique)1. Mais les cinéastes ont aussi tendance à s’autocensurer. En France, il faudra sûrement encore quelques années avant que ces derniers ne se posent plus la question de savoir s’ils peuvent faire un film sur Daesh ou le terrorisme de manière générale, sans craindre un rejet de la part des spectateurs ou encore d’être accusés de faire de la récupération, etc. Pour l’anecdote, le tournage du film « Le ciel attendra » était prévu le lundi 16 novembre 2015, un terrible hasard du calendrier, mais qui n’a pas arrêté l’équipe du film, même si la réalisatrice s’est quand même posé la question durant le week-end de savoir si elle allait tourner son film ou non. Comme nous l’avions déjà dit pour « Les cowboys » de Thomas Bidegain, il ne faut pas cesser de faire des films en rapport avec notre réalité, aussi difficile soit-elle. Le cinéma, en plus d’être un excellent catalyseur d’émotions, peut aussi être utilisé pour faire passer des messages. En l’occurrence, à travers ce film, la réalisatrice essaye de nous dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre le terrorisme et l’islam.

« Le ciel attendra » est un film à voir, encore plus maintenant, parce qu’il nous ouvre les yeux sur une réalité. Mais il faut bien comprendre qu’il s’agit aussi d’un film sur un sujet précis. Ne lui faisons pas dire ce qu’il ne dit pas, autrement dit que tous les djihadistes sont des jeunes filles mineures issues de familles de classe moyenne sans tradition musulmane. Non, il s’agit de faire une fiction sur ces jeunes filles françaises, mineures et de tradition non-musulmane, qui veulent rejoindre Daesh. Et même si elles représentent une minorité, ces jeunes filles existent.

(Nathalie De Man)

1 DEGEN, Bruno. « Hollywood et le 11 septembre : les quatre étapes d’une thérapie audiovisuelle nationale ». http://id.erudit.org/iderudit/67638ac