Drame
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LADY JANE

Robert Guédiguian (France 2008 - distributeur : Les Films de l'Elysée)

Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan

105 min.
9 avril 2008
LADY JANE

Cette dernière réalisation de Robert Guédiguian est magnifique. Au sens premier de l’adjectif et à la manière profondément humaine du cinéaste, elle « fait (et parle) de grandes choses ».

Elle est « magnificata » parce que, si elle s’offre à lire comme une narration explicite que certains s’empressent d’emprisonner dans le registre « de série noire ou film policier », elle est avant tout le regard, méditatif et désabusé, d’un homme qui, ayant dépassé la mi-vie et le torrent des illusions qui l’ont encadrée, se demande comment faire face au retour inattendu (même si jamais complètement enfoui) d’un passé ?

Un passé tissé de la lutte d’un trio contre les injustices sociales et de l’amour/amitié qui le soudait. Pour toujours croyait-il.

Muriel, François et René étaient des Robins des Bois. En ces années où les notions de partage et de solidarité avaient un sens - mais au fond en avaient-elles réellement ou faisaient-elle partie des « boni » de la jeunesse appelés à disparaître l’âge venant ?- ils redistribuaient les fruits de leurs larcins aux habitants de quartiers défavorisés de leur ville, Marseille.

Un jour le larcin dégénere en braquage avec mort d’homme. Le groupe se disloque. Des années plus tard, Muriel téléphone à ses comparses. Elle a besoin d’eux.

Commence alors réellement le film par une plongée vraie dans l’intimité de chacun. Celle que l’on cache. Que l’on se cache. Parce qu’on n’est pas nécessairement content de ce qu’on est devenu, de qui on a épousé et de ce que l’on (a) fait.

Ce qui touche dans cette « Lady Jane », à mille lieues de la généreuse positivité de « Marius et Jeannette » - dont le prénom raccourci « Jane » est déjà une indication de froideur sèche - est la réflexion empreinte de tristesse voire de crépusculaire qui s’insinue dans le propos guédiguianien (*).

« Lady Jane » met un doigt, parfois brutal, sur ce qui fait mal. Sur ce qui a constitué les personnages et ce sur quoi ils n’aiment pas revenir.

Parce que se souvenir est trop douloureux, trop irrattrapable et donc pour toujours inconsolable. Il y a un temps où faire "comme si" devient impossible.

L’amitié - et Guédiguian en connaît un bout sur le sujet, lui qui aime tourner devant et derrière (**) la caméra avec la même petite troupe de fidèles - est un sentiment vivant et humain. Il n’est donc pas pavé que de bonnes intentions. Il peut engendrer le meilleur comme le pire.

Et parmi ce pire, la trahison peut avoir sa place.

Ainsi que le désir de vengeance. Cette vengeance qui, comme une couleur de fond symbolique, veine de tragique le propos de « Lady Jane » et au-delà du film la marche du monde - scandée ici par des images fugitives et transmises par la télévision du conflit palestino-israélien.

Film amer et courageux, il jouxte, sans intention moralisatrice, la notion de morale engagée. Qu’elle soit économique par son rappel de l’indécent pouvoir de l’argent capable de tout acheter, de tout payer - une respectabilité, une conscience et une rançon.

Ou politique par son insistance à revenir sur ce que tout le monde sait mais se (com)plaît à tout aussi vite oublier : la violence s’alimente du cycle sans fin de la vengeance.

C’est pourquoi, me faisait remarquer une amie CinéFemme, un film comme "Daratt" (***) de Mahamat-Saleh Haroun est précieux. Il rompt avec l’effet domino du lien pervers qui soude le vengeur au vengé.

On l’a compris « Lady Jane » n’a rien à voir avec la chanson des Rolling Stones évoquant une "Sweet Lady Jane" mais plutôt avec une âpre ballade de la poétesse rockeuse Patti Smith.

Tous les acteurs sont épatants. Qu’ils soient de premiers, de deuxièmes rôles ou de modestes figurants. C’est aussi pour cela qu’on aime Guédiguian. Il permet le retour à l’écran de comédiens que l’on avait justement envie de revoir.

Dont une brève apparition de Pascale Roberts qui donne au désir de vengeance une alternative. L’oubli. L’effacement de la mémoire.

Le pardon évidemment aurait été mieux.

Mais avec Guédiguian le cinéma est de l’ordre de la réalité et non du semblant. C’est ce qui en fait l’irremplaçable valeur. (m.c.a)

(*) Mélancolie et noirceur étaient déjà nichées dans d’autres films. Notamment « Marie-Jo et ses 2 amours », « Dieu vomit les tièdes », « La ville est tranquille »
(**) Sauf Pierre Milon, le chef opérateur, nouveau venu dans l’équipe depuis 2005 « Le voyage en Arménie »
(***) Sorti le 31 janvier 2007 et chroniqué à la même date sur ce site

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