Rod Paradot, Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier
Puissant et brillant, violent et poignant, La Tête Haute est le film choisi pour ouvrir la 68ème édition du Festival de Cannes.
En
rupture avec le glamour et le sensationnel auquel Cannes nous avait
habitués depuis quelques années, le cinquième long-métrage d’Emmanuelle
Bercot [1] s’impose
comme un choix remarquable et exceptionnel. Remarquable car, une fois
n’est pas coutume, il s’agit d’un bon film français qui appartient au
vrai cinéma d’auteur. Exceptionnel, car la cinéaste n’est que la
deuxième femme, après Diane Kurys en 1987 (avec Un Homme amoureux ), à présenter un film en ouverture de Cannes.
Film de la veine du récent cinéma social britannique, La Tête Haute sort
littéralement le cinéma francophone des abîmes du marasme, du
misérabilisme et du pathos plombant. Exit les atmosphères grises, ternes
et confinées ; place à la lumière et à la respiration de l’humour. Exit
le rythme lent et les longs plans qui ne riment à rien ; place au
mouvement et à l’action. Et enfin, exit les petites gens racornies et
empêtrées dans un présent sans avenir ; place à des personnages forts,
énergiques et dotés de persévérance et d’espoir.
C’est
pourtant sans concessions ni angélisme doucereux que la réalisatrice
s’attaque à bras-le-corps à la question de la délinquance juvénile à
travers le parcours d’un gamin, qui, aux dires de sa mère, est délinquant depuis qu’il est capable de marcher .
Fils
d’un père déserteur et d’une mère en déshérence (Sara Forestier) à qui
le sens de la responsabilité et de l’éducation fait cruellement défaut,
Malony (Rod Paradot) est le type même de l’enfant qui a poussé comme une
herbe folle. La terre maternelle est certes gravide en amour mais,
comme dirait l’autre, « Ce n’est pas parce que l’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver ; l’amour n’a rien à voir là-dedans. » Retiré
de la garde de sa mère à l’âge de six ans, Malony s’est enfermé dans
le cercle de la violence. D’escalade en escalade, il se retrouve à
maintes reprises convoqué dans le bureau de la Juge (Catherine Deneuve)
qui, avec l’aide d’un éducateur (Benoît Magimel), tente de poser les
jalons d’un nouveau départ. Cependant, si ceux-ci peuvent poser les rails vers un avenir meilleur , ils ne peuvent pas conduire la locomotive à la place d’un adolescent pour qui la rage est une autre forme de dignité.
Film total, La Tête Haute en
impose par sa maîtrise cinématographique et par l’amplitude de son
angle de vue. En explorant à 360° la réalité sociale et humaine de son
sujet, la cinéaste décortique avec une subtile minutie les mécanismes
sociaux, légaux et éducatifs du système français, et ce, sans faire de
son film un documentaire.
Ses
personnages sont vrais, vivants, sincères, et entre eux se tisse un
réseau relationnel complexe et nuancé qui ne suit pas un continuum
linéaire. En bousculant les rôles traditionnellement établis, Emmanuelle
Bercot fait en effet subtilement éclater les lignes de démarcation des
relations humaines telles qu’elles sont socialement préjugées ou
habituellement mythifiées. L’adolescent en souffrance est certes emmuré
dans une violence incontrôlable et dommageable pour la société mais il
n’en est pas pour autant perfide ou méchant. Peu habitué à recevoir de
l’affection, toute forme de tendresse lui semble inaccessible voire
insupportable, car intérieurement, Malony demeure l’enfant insécurisé
qui a érigé, dans son rapport à l’altérité, les murs de la méfiance et
de l’anti-sentiment. Autant de remparts qui le protègent de la
possibilité d’une nouvelle souffrance et de l’échec. Certes, sa mère
essaie d’aimer son fils du mieux qu’elle peut, mais leur relation est
marquée par l’ambivalence et s’apparente plus à « celle d’un mec et d’une meuf ». « Et
il ne faudrait pas croire que le portrait de cette mère complètement
ravagée est exagéré. Pour la préparation de son film, Emmanuelle a
rencontré dans le bureau des juges des cas qui étaient encore pires ! », a commenté Sara Forestier sur le plateau du Grand Journal de Canal Plus.
Dans
la même perspective, Catherine Deneuve et Benoît Magimel sortent de
leur rôle d’instances publiques figées pour investir, non sans heurts,
un terrain plus humain. Cependant, si la réalisatrice laboure le champ
humain, ses sillons ne sont guère minés par un chapelet de naïves
intentions. La Juge, en tant que dépositaire des lois, ne déroge ni au
statut ni aux obligations de sa fonction. Bien que compréhensive, sa
capacité d’empathie a des limites, et elle n’adopte nullement l’attitude
d’une mère qui pardonnerait tout à son fils. « On n’est pas là pour t’aimer ; on est là pour t’aider »,
rappelle-t-elle d’ailleurs au jeune garçon. Quant à l’éducateur, aussi
charismatique et écorché que le délinquant dont il a la charge, il ne se
mue pas pour autant en grand frère paternaliste ni en aveugle
idéaliste. En n’omettant pas de placer la question de la responsabilité
des actes posés par Malony au cœur de son film, la cinéaste tient
d’ailleurs fermement serrées les brides de la cohérence.
Enfin,
l’on ne peut que souligner l’extraordinaire direction d’acteurs dont
Emmanuelle Bercot a fait preuve. Rod Paradot est ici une véritable
révélation. Trouvé dans un lycée professionnel où il faisait un CAP
menuiserie, l’adolescent a été choisi « parce qu’il avait une gueule faite pour le cinéma et pouvait assurer la crédibilité du personnage de ses 13 à 17 ans ». « Ce n’était pourtant pas gagné d’avance , souligne la réalisatrice, car
Rod est très loin de Malony et j’ignorais s’il avait en lui la rage et
la violence du personnage que j’avais écrit. Dans la vie, c’est un
garçon poli, bien élevé et très sociable, et je ne savais pas si je
pouvais l’emmener là où je le voulais » . Lors
de son premier passage à la télé, le jeune acteur a d’ailleurs reconnu
que la réalisatrice s’était parfois montrée très dure lors du tournage et qu’elle était parvenue à le pousser dans ses retranchements mais, au vu du résultat, il s’est dit totalement comblé. « Si elle n’était pas aussi dure, elle ne parviendrait pas à faire d’aussi beaux films qui adressent d’aussi beaux messages ! », a-t-il déclaré avec une belle fierté juvénile.
Certes, La Tête Haute n’évite
pas totalement les situations convenues mais il le fait avec bonheur et
brio, et surtout, il sort violemment hors de l’eau la tête de ceux qui
croient encore que le cinéma social doit nécessairement se noyer dans le
fleuve de la désespérance.
( Christie Huysmans )
[1] Habituée des grands festivals, Emmanuelle Bercot a présenté Clément en 2001 à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, Backstage à Venise hors compétition et Elle s’en va en 2013 à Berlin.