Ecran Total
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LA SOLEDAD

Jaime Rosales (Espagne 2007 - distributeur : Ecran Total)

Sonia Almarcha, Petra Martinez, Nuria Mencia

133 min.
20 août 2008
LA SOLEDAD

La solitude. Cette solitude qui hante, qui paralyse. Celle qui guette, au coin du mur, qui nous observe à la dérobée, et nous tombe dessus sans prévenir. C’est de cette solitude-là que parle Jaime Rosales. Celle qui s’insinue en nous par les moyens les plus multiples ; la mort, le conflit, l’animosité, la banalité.

Le quotidien comme un exil ordinaire, un retranchement par glissement.

Pour mettre en image cette thématique, Rosales choisit de raconter l’histoire de deux femmes, Adela et Antonia. Ces deux héroïnes n’ont rien en commun, si ce n’est une certaine tristesse. Une peine qui les accroche, les écrase : Adela a perdu l’être qui lui était le plus cher, Antonia voit sa famille s’atomiser pour des conflits financiers.

Ces deux femmes ne se connaissent pas, elles se croisent, tout au plus, mais elles partagent une affliction semblable, qui les paralyse, chacune à leur manière. De leur mise en présence au sein d’un seul film naît cette impression diffuse de solitude dans laquelle elles se débattent toutes deux.

Une solitude mise littéralement en images. Rosales choisit d’utiliser des procédés proprement cinématographiques pour dessiner à l’image la fracture qui mine les deux femmes : le split screen et le surcadrage.

La coupure de l’écran en deux parties engendre un espace fragmenté, où les personnages, même s’ils sont proches, se retrouvent séparés, écartés. Chacun confiné à une portion d’espace délimitée, chacun claustré dans la pensée qui les tourmente. Ce choix de mise en scène met en exergue l’isolement des protagonistes, leur quasi impossibilité à communiquer, à se faire entendre des autres. 

D’autre part, le surcadrage souligne l’accablement des deux femmes. L’omniprésence du sentiment qui les bouscule malgré elles. Qui les pétrifie littéralement dans cette image architecturée.

Cette capacité à traduire la thématique de « La Soledad » au sein de l’image même a quelque chose de fascinant. Pourtant, au bout d’un certain temps, cette structure stylistique acquiert quelque chose de systématique, de récurrent qui finit par agacer. On ne cesse de revoir les mêmes procédés, les faces à faces déconstruits, les espaces démantelés, utilisés encore et encore. La narration devient systématisante.

Il y a dès lors deux façons de l’appréhender. Soit on loue ce film qui fonctionne en tous points selon une narration paramétrique [1], structurée par un élément stylistique récurrent. Soit on est pris par un effet de rejet. On n’est plus à même d’être touché par Adela et Antonia car l’aspect formel a pris le pas sur le ressenti.

« La Soledad » se pose alors comme objet filmique complexe où la matière travaille le fond, où le fond se laisse manipuler par la forme. Une construction cinématographique singulière qui a le mérite d’utiliser les possibilités offertes par le médium à un degré que peu de films atteignent.

Une maîtrise de la forme qui s’illustre dans la complexité mais aussi dans la simplicité. Car Rosales opère par captation, par monstration sans tentative d’explication. Il propose des images, des instantanés d’une réalité.

Et lorsqu’à de rares moments, il abandonne son dispositif filmique syncopé pour se laisser aller à des plans larges, on est profondément touché par la grandeur de l’écran, soudain plein, époustouflant de largeur. (Justine Gustin)

Comme des parcelles de respiration nécessaires. Comme des morceaux d’apaisement salutaires.
[1] David Bordwell, « Narration in Fiction Film ».