Cinematek
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LA REGION CENTRALE

Michael Snow (Canada 1970)

quelque part dans un espace désert de la toundra canadienne

196 min.
3 février 2011
LA REGION CENTRALE

Que voilà un film d’une insolente particularité. Délibérément délivré des fondamentaux du cinéma : pas de narration, pas d’acteurs, pas de techniciens, pas de musique.

 

Juste un espace sonore composé de 5 fréquences et un seul décor.

Celui d’un paysage désertique canadien dans lequel le réalisateur a planté une caméra fixée sur un trépied omnidirectionnel (qui la transforme en une sorte d’insecte doté de deux élytres minitieusement perceptives) afin de balayer un espace. Toujours le même.

Fait de pierres, de terre, de bouts de ciel, de brins d’herbe. D’un morceau de lac et d’esquisses de montagnes.

Espace identique. Qui pourtant au fil de chaque séquence filmée à vitesse variable apparaît différent. Comme si la répétition tantôt aiguisait le regard. Tantôt le rendait plus flou.

Transformant le spectateur, qui accepte d’entrer dans le schème « snowien », en témoin privilégié d’une expérience visuelle appendue à une multitude de possibilités dues à la liberté d’un dispositif scénique qui ne dépend pas d’une intervention humaine. Mais est laissée au hasard d’un moyen d’enregistrement mécanisé et temporalisé.

Hasard mettant au défi les limites d’un art dont l’autonomie est habituellement contrée ou confrontée à la présence des corps masculins ou féminins qui supplantent presque toujours le dispositif technique destiné à les mettre en valeur.

Espace délimité mais aussi infini parce que la répétition engendrée par une caméra tournante, ne s’éloignant jamais de plus de 1,2 mètres d’un point central - snobant donc les mouvements de travelling qu’ils soient avant ou arrière - n’absorbe jamais deux fois les mêmes détails.

 

Le temps, ce lent chronophage, faisant son œuvre et colorant autrement et inexorablement (impitoyablement ?) le paysage.

Un autrement dû aux contingences d’une lumière qui change - le film commence un jour pour s’achever aux aurores du lendemain. Et aux caprices d’un climat dont la gradation du plat au venteux fait office d’ intrigue.

Qui si elle n’a rien de spectaculaire insuffle au film son mouvement. Sa vitalité.

Sa magie intrinsèque. Hypnotique et fascinante.

Qui excluant toute référence civilisationnelle ou humaine fait du cosmos - univers terrestre et céleste alliés - son centre.

Son nœud. Sa « région centrale » dans laquelle ceux, qui acceptant le lâcher-prise conceptuel et/ou intellectuel, saisiront l’opportunité de se (re)connecter avec leurs impressions primaires.

Leurs sensations.

Comme celles qui au temps des frères Lumières transformaient les spectateurs à la fois ravis et effrayés par l’entrée d’un train en gare de la Ciotat » en « nénuphars ».

Réactifs, émus et troublés par ce qui leur était montré.

Stefani de Loppinot a écrit sur « La région … » un essai sensible et imaginatif. Il est publié chez Yellow Now. Dans l’intéressante collection « Coté cinéma » qui propose à prix doux des regards intelligents et variés (*) sur ce qui rend le 7ème art précieux.

Une mini rétrospective Michael Snow est proposée par Cinématek avec notamment une projection ce mardi 8 février à 18 heures de son film phare : « Wavelenght ». Un zoom de 45 minutes dans un atelier, jusqu’à une photo noir et blanc de vagues.

 

Signant l’entrée magistrale (**) du réalisateur dans le monde du cinéma dit expérimental.

 

Tout comme le livre "Waves" avait scellé celle de Virginia Woolf dans le périmètre de l’expérimentation littéraire. (mca)

(*) « L’attrait des nuages » de Dominique Païni, « Sur la direction d’acteurs » de Nicholas Ray, « Indian’s song » de Gilles Laprévotte et Thierry Roche.
(**) récompensée en 1967 par le Grand prix du Festival de Knokke-le-Zoute.