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LA NANA

Sebastian Silva

Catalina Saavedra, Claudia Celedon, Alejandro Goic

95 min.
7 juillet 2010
LA NANA

Peut-on être malheureux sans le savoir ?

Peut-on être, au point de se laisser presque mourir, étouffé par un sentiment que l’on n’arrive pas à identifier, à nommer ?

Comment peut-on avoir intériorisé, à son insu, un concept - celui de l’asservissement - et lui permettre de prendre dans une vie un tel pouvoir qu’il va la transformer un désert affectif. Vous gangrenant au passage le cœur comme le renard le faisait de celui des Spartiates désireux de prouver leur valeur ?

Questions dont la gravité est superbement portée à l’écran par une actrice, Catalina Saavedra venant du comique. Prouvant ainsi comme son homologue nippon Takeshi Kitano - avec lequel elle partage le même visage revêche et la même lourdeur corporelle - que les antécédents de pitre ne sont, chez les meilleurs, que l’autre face d’un potentiel tragique.

Raquel est bonne à tout faire dans une famille de la grande et riche bourgeoisie de la capitale chilienne.

Dévouée depuis 21 ans à des employeurs qui n’ont rien de la morgue et du sens de hiérarchie de leurs homologues de la série anglaise des années 1970 « Maîtres et valets » (*) - nous ne sommes pas dans un film de dénonciation politique d’une réalité sociale - Raquel s’est créée son propre fantasme.

Fantasme qui fait d’elle un être indispensable et unique. Se refusant à partager le territoire que représente à ses yeux la maison une fois que celle-ci est désertée par ses propriétaires partis vaquer à leurs occupations et loisirs.

Par une mise en scène qui fait écho à la technique de la nouvelle école de Berlin (image video nette, distanciation des objets par rapport aux visages captés en plan serré), le réalisateur cerne, par un jeu quasi chorégraphique de portes qui se ferment, une problématique de pression.

Non pas une pression venant de maîtres plutôt mus par une indifférente bienveillance démentie une seule fois par un rappel à l’ordre « après tout tu n’es que la bonne ici " qui sonne comme un coup de fouet mais une pression interne et somatisée.

Générée sans doute par l’appartenance de l’héroïne à une lignée familiale résignée. Ne trouvant d’autre voie pour accepter son sort que de coller aux images véhiculées par le masque (la persona) de leur fonction : servir.

Chez Jean Genêt, chez Ruth Rendell portés à l’écran par Jean-Pierre Denis dans "Blessures assassines" (**) pour l’un et Chabrol dans « La Cérémonie » pour l’autre « Les bonnes » rebelles tuent.

Chez Sebastian Silva le conflit entre ce que l’on est et ce que l’on fait échappe de justesse à la folie et à la violence répétée par l’ouverture à un sentiment.

Celui de la tendresse révélée par une lumineuse jeune femme engagée pour seconder Raquel.

Ce n’est pas par la parole mais par un geste simple - ouvrir un portail - que celle-ci indiquera à l’héroïne un chemin qui rappelle qu’au-delà de la tristesse, de la solitude et de la méfiance d’autres options de vie existent.

Et qu’elles peuvent faire fleurir d’inattendus sourires. (mca)

(*) d’Eileen Atkins & Jean Marsh

(**) magnifique double du film de Nico Papatakis "Les abysses" (1962)