Coup de coeur
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Coup de coeurLA GRAINE ET LE MULET

Abdellatif Kechiche (France 2007 - distributeur : Alternative Films)

Habib Boufares, Hafsia Herzi, Faridah Benkhetache

147 min.
12 décembre 2007
LA GRAINE ET LE MULET

Les hommages aux pères ne manquent pas sur la toile ces derniers temps. Nicolas Philibert avec « Retour en Normandie », « Le fils de l’épicier » avec Eric Guirado et maintenant ce beau et généreux film d’Abdellatif Kechiche.

Slimane est licencié après 35 ans d’activité sur les chantiers navals de Sète (dont une partie au noir comme cela était habituel, est-il rappelé, dans la France des années 1960/1970 pour les travailleurs immigrés). Pour sortir d’un sentiment d’inutilité, joli pied de nez au cliché du maghrébin glandeur, il décide d’utiliser son indemnité de départ pour restaurer un vieux bateau. Et le transformer en lieu de convivialité ouvert à ceux de sa culture d’origine et de sa culture d‘adoption.

« La graine… » est un film nourricier et nourrissant. Pas seulement parce qu’il parle de couscous mais parce qu’il donne à voir et à ressentir ce qui alimente les relations entre les gens. Ces liens forts et affectueux qui enrichissent, les familles naturelles et recomposées, au-delà des disputes, des cris et des déceptions. Ces liens que dans la lignée dans Sautet, le cinéaste saisit dans leur quotidienneté bouleversée par le contingent.

Pourtant réduire « La graine… » à un film sur la parenté, ses alliances et ses difficultés, ne serait que rendre un demi hommage à cette œuvre qu’une humanité naturelle ne prive pas d’un regard lucide sur une société française subtilement méprisante et facilement « corruptible » si on lui donne à boire et à voir une jolie fille.

Si Kechiche ne fait pas l’impasse sur les attitudes et paroles des autochtones français sous-tendues du racisme cauteleux de ceux qui abritent leur a priori derrière la nécessité de respecter les directives administratives, il ne fait pas non plus l’autruche sur une banlieues gangrenée par une délinquance juvénile inconsciente des conséquences de ses actes.

La mise en scène limpide, la pureté du langage cinématographique - articulé avec une clarté déclamatoire digne de la Comédie Française (*) - l’excellence des acteurs, dont une éblouissante Hafsia Herzi, qui donnent, par leur fluidité de jeu, l’impression de créer les personnages au fur et à mesure qu’ils les interprètent font de « La graine… » une denrée précieuse.

Précieuse et déchirante parce qu’elle insère les personnages dans la perspective sociale et économique d’un parcours tantôt habité d’altruisme et de solidarité, tantôt tenté par la mesquinerie et l’égoïsme.

La danse du ventre, envoûtante et sacrificielle, qui scande la fin de ce film le résume et le sublime. Prenant le spectateur dans les replis d’une vie qui s’offre pendant qu’une autre s’éteint. D’une vie qui partage (le repas offert au SDF) pendant qu’une autre dépouille (le vol du scooter).

D’une vie qui réserve des surprises parce que, souvent chaotique, elle répond rarement à ce qu’on en attend.

« La graine… » a remporté à Venise le prix spécial du jury. Prix mérité comme l’aurait été celui, s’il avait existé, du prix de l’affection d’un cinéaste pour ses héros. Affection que par contagieuse empathie le spectateur ne tarde pas à éprouver. (m.c.a)

(*) On connaît l’intérêt de Kechiche pour le théâtre depuis son vibrant « L’esquive ».