Tranche de vie
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LA FABRIQUE DES SENTIMENTS

Jean-Marc Moutout (France 2008 - distributeur : Benelux Film Distributors)

Elsa Zylberstein, Jacques Bonnaffé, Bruno Putzulu, Hiam Abbas

104 min.
20 février 2008
LA FABRIQUE DES SENTIMENTS

Depuis qu’un soir de 1994 - lorsqu’elle jouait à Bruxelles, dans des décors aménagés à l’arrière d’un cinéma désaffecté de Bruxelles, « Mina Tannenbaum » de Martine Dugowson - on a aperçu la silhouette gracieuse d’Elsa Zylberstein traversant le boulevard Anspach, on est sous le charme de cette actrice qui sait allier fragilité, sincérité et profondeur.

A une époque où tellement de choses se fabriquent, les personnalités sur « Second life », les bébés par in vitro et les brebis par clonage, pourquoi ne pas chercher à créer - pour rester synchro avec l’époque - les sentiments ?

Héloïse a 37 ans, âge que les Grecs anciens appellent « acmé » ou encore apogée de la vie.

Age que les jeunes femmes modernes redoutent parce qu’il annonce la quarantaine et l’urgence de fonder une relation stable et familiale. Valéria Bruni-Tedeschi dans son remarquable « Actrices » ne pensait pas autrement.

Elle est clerc de notaire et célibataire et en quête moins d’un amour que d’un partenaire idéal qu’elle calibre avec une étonnante sécheresse.

Pour trouver l’oiseau rare elle s’inscrit à un club de speed-dating. Lieu de rencontre chronométrée(*) dont les locaux aseptisés reflète bien le nouvel art d’aimer du XXIème siècle : concurrentiel, disqualifiant, sans âme et souvent sans cœur.

Il y a dans " La fabrique..." une tension sourde et permanente qui fait penser à Michael Haneke et au premier film du réalisateur, « Violence des échanges en milieu tempéré ». Qui met mal à l’aise parce que sous les dehors d’une vie policée se cachent des angoisses, des apories, des tristesses, des vulnérabilités, et une maladie - symbole du ressenti de l’héroïne devant sa vie qui dé-visse de son socle d’habitudes de "working girl"- que Jean-Marc Moutout pointe avec le cynisme lucide d’un désenchanté.

Si le film se termine par une pirouette arc-en-ciel, le spectateur ne sera pas dupe de ce feint bonheur.

L’histoire d’Héloïse et de ses deux soupirants (dont un Jacques Bonnaffé en grande forme) est à l’image de la société qui la sertit : inquiétante, infidèle, artificielle, surfaite.

En habile observateur de l’époque, Moutout la confine dans deux constats dont il a l’élégance de gommer la brutale expression en choisissant de les formuler par l’intermédiaire de deux rencontres.

L’une avec un livre, celui d’Alain Ehrenberg dont le titre est à lui seul un déprimant condensé de la modernité : « La fatigue d’être soi » et l’autre avec une musique, celle de l’aria « E la solita storia » de « L’Arlesiana » de Francesco Cilea sublimement chanté par le ténor Griffin Bryan.

Misère de nous pauvres humains, incapables d’aimer, incapables de constance, condamnés à la solitude.

Et si nous avions le présent que nous méritons ?

Signalons une courte apparition d’Hiam Habbas (**) dont les qualités d’actrice mériteraient tellement mieux que deux minutes trente d’écran. (m.c.a)

(*) 7 minutes. 7 comme les 7 plaies d’Egypte....
(**) "The syrian bride" d’Eran Riklis, "Free zone" d’Amos Gitai