3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s) 3étoile(s)

LA CHIMERA

Alice Rohrwacher

Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini, Alba Rohrwacher

133 min.
3 avril 2024
LA CHIMERA

Déjà titulaire de 2 prix à Cannes, le Grand Prix du jury pour " Les Merveilles" en 2014 et le prix du scénario pour "Heureux comme Lazzaro" en 2018, Alice Rohrwacher en est à son quatrième film et confirme avec éclat une voix complètement nouvelle dans le paysage cinématographique italien. Au cœur de la Toscane, elle nous conte, et il s’agit bien d’un conte, les tribulations d’Arthur, jeune archéologue anglais aux dons de sourcier, dans sa quête acharnée des trésors enfouis dans les tombes étrusques. Armé de sa branche-baguette, entouré de pilleurs de tombes, les tombaroli, une bande de bras cassés, marginaux fêtards aux allures carnavalesques, Arthur débusque dans les profondeurs les objets quotidiens qui accompagnaient les défunts dans l’au-delà, aujourd’hui devenus trophées muséaux, quasi hors prix.
Loin d’une intrigue linéaire, la cinéaste multiplie les registres, les thèmes se superposent, les univers et les styles aussi. Alice Rohrwacher nous plonge dans une Toscane déglinguée, filmée à ras du sol, loin des beautés radieuses. Cabanes en taule, palais en ruine, lorsqu’Arthur rend visite à sa vieille amie, la cantatrice Flora qui survit entourée de merveilles fanées. Et là l’histoire bifurque. Flora, la mère de Beniamina, le grand amour d’Arthur, mystérieusement disparue, la Chimère ! Séquences oniriques et retours au réel, et quel réel ! L’envers du décor, les prédateurs en embuscade à l’arrière-plan, les véritables commanditaires des pillages, dans leurs locaux luxueux et aseptisés. Instant politique, la quête du profit en question, et le geste rebelle.
La réalisatrice revisite aussi les styles cinématographiques, comme la scène gendarmes et voleurs, digne des burlesques du cinéma muet. Parfois comme un air de Fellini, avec le personnage de Melodie. Et en prime, quelques images d’une beauté inouïe illuminent la triste errance d’Arthur. Les oiseaux blancs perchés sur le dos des brebis, comme sortis d’une fable et finalement, les peintures radieuses sur les parois d’une nécropole, qui célèbrent la vie, comme dans plusieurs tombes à Tarquinia.
Et que dire des acteurs ? Le film est littéralement porté par Josh O’Connor, bouleversant, énigmatique, habité… Sans les citer tous, à saluer, Isabella Rossellini, à la présence réellement charismatique. Une œuvre complexe, riche, inventive, qui questionne et… émeut.

Tessa Parzenczewski