Tranche de vie
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KEEPER

Guillaume Senez

Kacey Mottet Klein, Galatea Bellugi, Catherine Salée, Laetitia Dosch, Sam Louwyck

95 min.
9 mars 2016
KEEPER

Maxime et Mélanie ont 15 ans. Ils s’aiment et ont une sexualité aussi tâtonnante qu’insouciante. Un jour, Mélanie découvre qu’elle est enceinte. Après un moment d’hésitation, et contre toute attente, Maxime tient à garder le bébé. Les responsabilités et les changements qu’impliquerait la venue de cet enfant sont-ils compatibles avec la fougue adolescente et la candeur illusoire de certains rêves ?

C’est avec une très grande justesse de ton et beaucoup de réalisme que Guillaume Senez (lire notre interview) filme l’adolescence : dans toute sa naïveté, dans toutes ses hésitations, avec tout ce qui fait sa force et sa fragilité. Une force et une fragilité qui doivent beaucoup à l’ambivalence de l’insouciance : car si la légèreté propre à l’adolescence est une richesse lorsqu’elle est porteuse d’envies et le moteur de nombreux rêves, cette même légèreté, alors synonyme d’un eudémonisme aveugle et irréfléchi, devient inévitablement le générateur de désillusions, lorsque celle-ci se voit brutalement confrontée à une réalité bien peu amène, qui a très vite fait de balayer le monde idéal que l’on s’était imaginé. 

Comment grandir, comment continuer à se construire, à croire en soi, lorsque très jeune, on est amèrement mis face aux vicissitudes de la vie ? Comment s’affranchir de la dépendance parentale et devenir autonome, comment demeurer libre, poursuivre ses rêves et simultanément se montrer responsable lorsqu’on est en passe de devenir parent alors que l’on n’est pas encore totalement sorti du giron de l’enfance ?

Autant de questions que le cinéaste explore au travers du prisme d’un personnage masculin tout en ne négligeant nullement les points de vue féminins. Et c’est sans doute là où résident l’originalité et la force de ce premier long métrage : en abordant avec perspicacité à travers les yeux d’un gamin de 15 ans un sujet qui, habituellement, est traité sous un angle exclusivement féminin, Guillaume Senez coupe l’herbe sous le pied à de nombreux stéréotypes et soulève une question qui, chez les hommes, demeure souvent tapie dans l’ombre du silence, et relève peut-être même du tabou. 

Pourquoi le manque d’enfant ou la paternité avortée sont-ils des sujets aussi peu évoqués par la gent masculine ?

« La maternité est sans doute le seul domaine d’exception où les femmes peuvent prétendre avoir plus de puissance que les hommes » , soulignait Guillaume Senez lorsque nous l’avons rencontré. L’impuissance masculine, incarnée par un Maxime qui ne dispose que de très peu de marge de manœuvre pour infléchir la décision de sa compagne de garder cet enfant (semblable à celle d’un gardien de but qui ne peut jamais gagner le match mais ne peut que le sauver) égratignerait-elle l’image d’Épinal de l’homme fort et infaillible que le machisme ambiant persiste à défendre ? Oser évoquer cette question publiquement constituerait-il pour un homme une trop grande mise en danger face à une société qui, dans son ensemble, continue à promouvoir le stéréotype du sexe fort, et reste globalement vissée au socle d’un conformisme socio-culturel, lui-même induit depuis la nuit des temps par une vision biologique étroite et restrictive de la parentalité ? Les études en la matière étant rarissimes, seules d’hypothétiques réponses pourraient être avancées. 

Par ailleurs, en évitant fort heureusement l’écueil du misérabilisme, Keeper parvient également à transcender les clichés, ce qui lui permet d’élargir le spectre de son sujet à 360° en incluant dans le débat des parents, qui ont des attitudes fort contrastées.

Certes, Keeper n’évite pas certaines maladresses (le jeu trop souvent excessif de Laetitia Dosch, qui incarne la mère de Mélanie, suscite notamment une exaspération qui décrédibilise sa prestation) mais la minutie réaliste et l’intelligente profondeur avec laquelle le réalisateur aborde la paternité telle qu’elle peut être vécue à l’adolescence compensent largement les menues faiblesses de ce premier long-métrage. 

( Christie Huysmans )