Conte existentiel
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JOY

David O. Russel

Jennifer Lawrence, Bradley Cooper, Robert De Niro

132 min.
13 janvier 2016
JOY

“You need a handsome prince. That’s what you need, a prince.”

Young Joy : “No, I don’t need a prince. This is a special power. I don’t need a prince.”

La mise en place de « Joy » était prometteuse. S’ouvrant sur un extrait de soap opera, elle multiplie les références cinématographiques pour ensuite basculer vers un style plus épuré. Cette transition soudaine marque ainsi le passage de l’enfance à l’âge adulte chez l’héroïne. Racontée depuis le point de vue du personnage de la grand-mère, l’histoire s’inspire de la vie de Joy Mangano, inventrice de la « Magic Mop » (une serpillière révolutionnaire), et de grandes figures d’entrepreneuses admirées par le réalisateur, David O. Russell. Ses influences pour ce huitième long-métrage sont à rechercher du côté des films de Peter Bogdanovich (« Paper Moon », 1973), Martin Scorsese (« Alice Doesn’t Live Here Anymore », 1974), Frank Capra, Georges Stevens ou encore des clichés de William Eggleston (un des pionniers de la couleur en photographie) ainsi que des peintures d’Edward Hopper et d’Andrew Wyeth.

Fidèle au format traditionnel du 35 mm, David O. Russell renoue également avec la thématique de l’ordinaire extraordinaire ou encore celle de la famille et sa façon d’être à l’origine de nos plus grandes réussites (« Fighter », « Happiness Therapy »). Si dans un premier temps, la famille représente plutôt un obstacle aux projets du personnage principal, celui-ci ne pourra réussir que grâce à son aide, après une étape nécessaire d’affranchissement propre au schéma « russellien ». Mais le réalisateur tente aussi de se réinventer à travers ce portrait de femme aux allures de conte de fées des temps modernes.

Cette réinvention de soi est également au centre du propos filmique. Seulement, le résultat de cette transformation, tant du côté de l’esthétique du film que du personnage principal, nous conduit vers quelque chose de superficiel et de contradictoire.
Ainsi, certains effets esthétiques (lumière brillante et couleurs éclatantes) vont venir peu à peu contaminer l’entièreté de l’univers diégétique, affublant le film d’un aspect artificiel. Ce changement se manifeste surtout au moment où Joy pénètre pour la première fois sur le plateau de la chaîne QVC, alors que jusque-là ces effets n’étaient présents qu’à travers l’écran de télévision de la mère de Joy, permettant d’établir un contraste entre le monde réel et celui des soaps operas. Quant à l’héroïne, les motivations de son émancipation prennent moins d’importance que la destinée à laquelle la voue sa grand-mère :

“You are going to grow up and be a strong, smart young woman, go to school, meet a fine young man, have beautiful children of your own and you’re going to build wonderful things like you do in your room.”

En lui assignant un tel avenir dicté par un personnage secondaire, le film rend davantage Joy prisonnière de sa destinée, au lieu de faire d’elle la femme déterminée et inventrice qu’elle est censée incarner. Par ailleurs, cette conception limitée et artificielle de l’avenir de l’héroïne atteint un point de non-retour à la fin du film, lorsque la grand-mère projette Joy dans son bureau, accueillant un jeune couple de Noirs venu lui présenter une invention ménagère, et se posant comme leur marraine protectrice.

Si ce personnage secondaire semble avoir autant d’importance, il n’en va pas de même pour les autres. Malgré un casting d’exception regroupant ses acteurs fétiches (Jennifer Lawrence, Robert De Niro et Bradley Cooper), auxquels viennent s’ajouter Isabella Rossellini ou encore Dasha Polanco (« Orange Is the New Black »), le réalisateur focalise toute son attention sur l’héroïne.

Pourtant, même dans un biopic (il suffit de repenser à « Fighter »), il nous avait habitués à exploiter le potentiel des autres personnages, au lieu d’en faire des stéréotypes. Finalement, il apparaît que « Joy » soit davantage une ode à Jennifer Lawrence, qui à défaut d’incarner une battante pour sa liberté et celle des autres dans « Hunger Games », s’est vu ici récompenser aux Golden Globes pour un rôle de femme individualiste, s’émancipant du sort de la ménagère qu’elle laisse à ses semblables.

Nathalie De Man