Drame social
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JOHANNA

Kornel Mundruczo (Hongrie 2005 - distributeur : Beeck Turtle)Prix Age d'Or 2005 (décerné par la Cinémathèque de Belgique)

Orsolya Toth, Zsolt Trill

83 min.
12 juillet 2006
JOHANNA

Paradoxal est le qualificatif qui vient à l’esprit face à cette histoire d’une jeune droguée qui, sauvée d’un coma profond, devient infirmière et guérit les patients en leur offrant son corps.

Contradiction voulue entre la bonté d’un propos et la sauvagerie qui en soutient le développement, entre la grâce inattendue de Johanna (pour expier sa vie d’ancienne toxicomane ?) et la volonté brutale des autres d’araser cette singulière sainteté qui les menace dans leur art de guérir, leur moralité et leur adéquation à la norme sociale.

Nombreux sont les films qui parlent d’amour mais rares sont ceux qui nouent ce sentiment à celui plus christique de l’oblation, cette offrande de soi pouvant aller jusqu’au sacrifice de sa vie

Bergman dans « Cris et chuchotements », Lars Van Trier dans « Breaking the Waves » ont effleuré la puissance et la vulnérabilité des personnages oblatifs mais sans ce regard neolyrique (nous sommes dans un opéra au livret et à la musique originaux) et extrêmement stylisé du réalisateur dont le sens de la composition visuelle et scénaristique rappelle à la fois la dureté des contrastes lumière/ombre des expressionnistes allemands et la violence des intrigues du cinéma scandinave.

Mundruczo reconnaît avoir été inspiré par l’histoire de Jeanne d’Arc. Il est vrai que les deux héroïnes, l’historique et la fictionnelle, partagent cette capacité à être différente et à exprimer, avec une liberté qui déconcerte, une façon de vivre qui les fera condamner à mort.

Mais Johanna n’est pas qu’une accommodation moderne de la personnalité de Jeanne d’Arc, elle a sa propre couleur, ses propres désirs. La crédibilité de l’interprétation de Orsi Toth (déjà remarquable dans « Pleasant Days » du même Mundcruczo ) est impressionnante. Elle apporte à son personnage une force humaine et tangible qui à la fois bouleverse et effraie.

Elle incarne avec beauté – dont la naturelle sensualité est proche de celle de Liv Ullman - la Bonté et en même temps elle arrive à insuffler à celle-ci cette dose de dangerosité, qui, comme Stefan Zweig l’avait subodoré pour la pitié, contient le ferment de sa destruction.

Cette capacité d’incarner un sentiment et son contraire cela s’appelle le talent.
Orsi Toth le dispense sans compter. Ce qui fait d’elle une actrice magnifiquement oblative.
Et justifie le prix de l’Age d’Or accordé en 2005 à ce film dont elle est l’axe de force et de fragilité. (m.c.a)