Documentaire
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Coup de coeurJAFFA. LA MECANIQUE DE L’ORANGE

Eyal Sivan (Belgique/France/Israël 2009)

Encore pour quelques jours en avril au studio 5 de Flagey

90 min.
6 avril 2011
JAFFA. LA MECANIQUE DE L'ORANGE

Quelle remarquable idée, accrocheuse (*) sans être racoleuse, de faire de l’orange de Jaffa la pomme de discorde du conflit israélo-palestinien.

Ce n’est pas la première fois que le concept d’agrume sert de point d’ancrage à une réflexion politique sur ces tensions.

Dans le très beau « Lemon tree », Eran Riklis scrutait, à partir d’un fait divers réel (**) et avec une rare humanité, les problèmes de territorialité et de frontières dans cette partie sensible du Monde.

A la rage contenue mais déterminée de son héroïne - rappelons le magnifiquement interprétée par Hiam Abbas - répond dans « La mécanique ... » la volonté de présenter, sous forme d’un documentaire richement iconographié, le lent et constant processus par lequel les Israéliens se sont emparés, avec la complicité active des Anglais, d’une ville.

Celle de Jaffa, l’une des plus prospères et peuplées de Palestine, pour la réduire d’abord à ne plus être qu’un quartier de Tel-Aviv.

Pour essayer ensuite d’en gommer le souvenir d’une cité prospère et laborieuse.

Et ne plus garder de sa puissance et renommée d’antan - la Reine Victoria connaissait et appréciait les oranges de Jaffa - qu’un label.

Une marque de 5 lettres de couleur noire sur du papier de soie devenue au fil du temps la preuve, orchestrée à coups de slogans pro-sionistes, d’une colonisation auto justifiée. Censée apporter le progrès et le bien-être sur une terre de désolation et d’abandon.

Oscillant entre douleur et colère, les différents intervenants - écrivains, historiens, chercheurs, gens du peuple - des deux bords font un exhaustif et jamais ennuyeux travail de mémoire.

Accablant pour le passé parce qu’il démontre le culot et la mauvaise foi d’une entreprise de démolition à l’échelle non seulement d’une ville mais aussi d’une réputation - celle d’une Terre Sainte qui s’en sortait économiquement bien avant l’arrivée du premier « Exodus.

Accablant et effrayant pour le futur - comment se remettre, sans crier vengeance ou être anéanti de chagrin, d’une telle manipulation de l’Histoire ?

Le cinéaste Elia Suleiman exprimait dans "Chronique d’une disparation annoncée" ses doutes et sa mélancolie quant à la création d’un Etat palestinien reconnu de tous. 

A la sortie de « La mécanique… » le spectateur a l’impression désespérante que cette disparition n’a plus à être annoncée. Parce qu’elle a déjà eu lieu.

En 1948 à Jaffa.

Eyal Sivan, l’avers pacifique mais tout aussi engagé qu’Avi Mograbi, rappelle que le cinéma documentaire ne donne pas qu’à voir. Qu’à ressentir.

Il donne aussi et surtout à comprendre.

A chacun de réfléchir à ce qui lui a été montré. Sans haine mais aussi sans accepter d’être désinformé. (mca) .

 

(*) Impossible de ne pas penser, en raison de la proximité de leur titre au film de Kubrick "Orange mécanique". A sa violence et à son cynisme.
(**) Salma, une habitante de Cisjordanie lutte contre les autorités israéliennes qui veulent, au prétexte qu’ils sont une menace pour la sécurité des forces occupantes, couper les citronniers que sa famille a plantés bien avant la colonisation.