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INTO THE WILD

Sean Penn (USA 2007 - distributeur : Alternative Films)

Emile Hirsch, William Hurt, Catherine Keener, Hal Holbrook

145 min.
9 janvier 2008
INTO THE WILD

Lorsque qu’il nous donne l’impression qu’une existence peut se déployer en plusieurs vies, Sean Penn a toute notre attention.

Lorsqu’il émaille son histoire d’invocations répétées à Dieu, la sympathie éprouvée pour cet ex bad boy devient suspicion et parfois même irritation.

Chris McCandless est un jeune étudiant de 22 ans. Il décide de quitter sa vie douillette, ses perspectives d’un avenir brillant pour prendre la route, délesté de ses économies envoyées à Oxfam et de sa vieille Datsun. Mais pas de ses relations disharmonieuses avec ses parents qui sont peut-être la véritable raison de sa fuite. Bien plus que ses déclarations de vouloir quitter le monde moderne pour vivre en ermite.

Serait-il plus facile d’affronter la Nature que la nature humaine ?

C’est à pied, avec en poche quelques livres de Tolstoi, Thoreau, London qu’il prend la route en digne héritier de Kerouac - dont on attend toujours l’adaptation au cinéma du cultissime « On the road » depuis que Ford Coppola en a acquis les droits en 1968.

Chris n’est pas un voyageur errant. Il a un but : l’Alaska, terre à ses yeux de tous les idéalismes poursuivis avec la détermination des déçus de la vie qui fait penser à l’exaltation avec laquelle chez Tchékhov les « Trois Sœurs » souhaitent partir pour Moscou.

Il a un désir : se distancier d’une société consumériste, ce qu’il fera avec une frénésie souvent proche d’une autodestruction non dite. Pour prendre avec lui-même un rendez-vous de vérité et d’authenticité qui le conduira à la plus extrême solitude. Celle dont on ne revient pas. Celle dont, en bout de course, on découvre qu’elle n’est pas le bonheur espéré : la dernière phrase du journal de bord de Chris faisant étant que le bonheur, pour exister, doit être partagé.

Œuvre à la fois naïve, mystérieuse, égoïste et généreuse, « Into the wild » n’est pas que l’aventure d’un utopique « supertramp », sobriquet que se choisit Chris bien éloigné du surnom « Paradise » le héros kerouacien de "Sur la route", mais aussi un regard sur les autres.

Ceux que l’on quitte parce qu’ils vous préparent un avenir qui ne vous convient pas. Ceux que l’on veut blesser et inquiéter en ne donnant jamais de ses nouvelles parce qu’ils vous ont fait souffrir.
Ceux-là ce sont les parents, ressentis comme trop autoritaires et pas assez aimants.

Et ceux que l’on rencontre et avec lesquels, brièvement, on imagine pouvoir compenser le lien raté au père et à la mère. Ceux qui vous tendent la main, spontanément, gratuitement, par simple solidarité.

Tourné entièrement en décors naturels qui donnent à penser que la Nature est bien plus belle que la Société, alors qu’elle est rude et implacable à ceux qui l’abordent comme terrain propice à une quête spirituelle - Elle n’est pas là pour résoudre nos problèmes -, « Into the wild » est baigné d’une élégiaque lumière due à Eric Gautier, le directeur photos du magnifique « Diarios de motocicleta » de Walter Salles.

Ce quatrième film de Sean Penn ne manque pas d’enjeux - Qu’est-ce qu’une famille ? Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Est-il possible de vivre en dehors de la société ? Le « wild » est-il en nous ou autour de nous ?. Il manque d’une force centripède.

Dans le « Gerry » de Gus Van Sant (*), le voyage de Matt Dillon et Ben Casey était sans retour mais aussi sans volonté démonstrative.

Chez Penn, le voyage est sans retour mais gorgé d’habilités à saisir le beau plan, à doser la scène entre tendresse et tristesse, à magnifier le désir d’absolu, qui respirent l’embuscade à Oscars.

C’est dommage mais c’est sans doute un réflexe viscéralement vissé au cinéma hollywoodien lorsqu’il veut faire recettes. Réflexe qui contamine même les cinéastes réputés pour leur indépendance d’esprit.

Restent les prestations convaincantes voire épatantes de la plupart des comédiens desquelles émergent les sourires tendres et butés d’Emile Hirsch, les émotions sincères de Catherine Keener et d’ Hal Holbrook qui trouve ici et à 83 ans son plus beau rôle.

« Into the wild » est inspiré par un fait divers devenu, sous la plume de Jon Krakauer, un livre édité dans sa version française aux Presses de la Cité sous le titre de « Voyage au bout de la solitude ».

Dans cet intérêt cyclique pour la rigoureuse splendeur du Grand Nord comme révélatrice de ce qui essentiel à la vie, la nouvelle de Jack London « Love for life » (**) reste imbattable. (m.c.a)

(* ) Sous la caméra duquel Sean Penn sera bientôt Harvey Milk, le maire homosexuel de San Francisco assassiné en 1978.
(**) Parue en français en 10/18 sous le titre plus long de « L’amour de la vie - la sublimation du réel ».