Autour de Bob Dylan
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I’M NOT THERE

Todd Haynes (USA 2007 - distributeur : Cinéart)

Cate Blanchett, Julianne Moore, Charlotte Gainsbourg, Richard Gere, Christian Bale

135 min.
19 décembre 2007
I'M NOT THERE

I’m not there ou l’impitoyable combat entre « je » et les « autres », entre la sincérité d’une intention et le toc d’une réalisation, entre le foutraque et le calibré.

Todd Haynes aime Rimbaud, Jean Genet et Douglas Sirk. Et quand il aime, il célèbre. Le premier dans un court-métrage, le second avec le film « Poison » et le troisième par le truchement d’un flamboyant mélo « Heaven in Paradise » que le créateur du genre (« All that heaven allows ») n’aurait pas désavoué.

Dans « I’m not there » l’objet de son admiration, c’est Bob Dylan. Au lieu de s’intéresser au chanteur en le chosifiant dans un classique biopic, le réalisateur choisit d’en éclater le portrait en fragments. Comme le font les tailleurs de pierre avec le diamant brut ou comme auraient pu le faire Picasso (dans sa période déstructurée) ou Topor (dans ses photos montages) pour rendre les différentes couleurs d’un individu qui n’arrête pas de se transformer. Qui semble changer de peau par peur de montrer la sienne.

Faire incarner ces métamorphoses par des acteurs aussi différents que Cate Blanchett (frégolienne à souhait), Heath Ledger, Richard Gere (un peu perdu), Christian Bale (très convaincant dans deux rôles) est en soi une bonne idée - parce qu’elle permet de créer, par la distance, la fascination pour une personnalité polyèdre - qui tourne vite au procédé qui fatigue. Et donc lasse. Et donc décourage de comprendre un personnage qui, à la fin de la projection, est plus insaisissable encore qu’en son début.

Véritable « merry-go-round » qui tourne sans relâche entre différentes représentations de Dylan, « I’m… » donne le tournis là où il voudrait donner un sentiment de liberté et crée l’impression de labourer la mer à force de tenter un narcissique impossible : capturer l’essence d’une énigme.

Quant à ceux qui ne connaissent pas Dylan, on peut se demander ce qu’ils retireront de cette expérience qui relève d’un défi intellectuel (et élitiste ?) d’illustrer sans leur donner de ligne directrice et de profondeur les imprévus, les contradictions (le protest singer qui roule en longue limousine de star…), les défauts (égocentrisme, arrogance) d’une star toujours sur le qui-vive.

Plutôt que de se confronter ou d’être confronté à un être humain, comme dans le « Control » d’Anton Corbijn, le spectateur se trouve face à un catalogue, brillant mais brouillon et sans émotion, de séquences inattendues, parfois poétiques, censées retracer le parcours d’un chanteur addicté à la volte-face et aux soubresauts d’une époque.

Celles des années 1960/1970, des Kennedy, de Lyndon Johnson, d’Allen Ginsberg (*), des Beatles, et autres seigneurs d’une décennie où se croisent culture et contre culture, guerre du Vietnam et contestation, désir d’être soi et de se noyer dans des images de soi.

Il n’est pas étonnant que Dylan, d’habitude réticent à collaborer aux projets cinématographiques le concernant, ait avalisé celui-ci qui le conforte dans sa volonté (actuelle) de discrétion.

Parce qu’aussi imaginatif qu’il soit d’un point de vue stylistique, « I’m not… » dévoile peu de son sujet. Non seulement il le laisse gainé de mystère, mais il en consolide la stature iconique et fantasmée.

Le titre du film est à cet égard de la plus grande clarté : « I’m not there ». 
 
Il peut être aussi contagieux. Puisque gagné par l’ennui de ce délirant et irritant jeu de pistes, il n’est pas certain que le spectateur soit encore là à la fin de la projection.

Il peut avoir l’envie de quitter l’artificieux « Dylan par Haynes » pour se rafraîchir aux notes vagabondes de « Mr. Tambourine man » ou se nourrir des réponses intelligentes, démythifiantes et démystifiantes du très intéressant "Dylan par Dylan - interviews 1962-2004" paru très récemment aux éditions Bartillat. (m.c.a)

(*) qui aurait dit de Bob Dylan qu’il était « une collection d’archétypes américains », idée qui a pu inspirer Haynes dans sa démarche de saisir un Dylan kaléidoscopique.