Adaptation d’un livre
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HIGH-RISE

Ben Wheatley

Tom Hiddleston, Jeremy Irons, Sienna Miller, Elisabeth Moss, Luke Evans, James Purefoy, Keeley Hawes, Stacy Martin

112 min.
6 juillet 2016
HIGH-RISE

1975. Le Dr Robert Laing emménage non loin de Londres dans un appartement d’une tour à peine achevée. Il découvre rapidement que ses voisins sont obsédés par une étrange rivalité et qu’ils n’ont pas l’intention de le laisser tranquille. Très vite, il va se prendre à leur jeu. Et alors qu’il tente de faire respecter sa position sociale, sa santé mentale se détériore en même temps que l’immeuble : l’ascenseur et les éclairages ne fonctionnent plus. Mais peu importe, la fête continue ! L’alcool devient la première monnaie d’échange et le sexe le remède à tous les maux. Ce n’est que plus tard, alors que la plupart des résidants ont disparu que Laing, assis sur son balcon tout en faisant rôtir une des pattes du chien de l’architecte du 40ème étage, se sent enfin chez lui.

« High-Rise » est l’adaptation du troisième tome éponyme de la trilogie de béton de J.G. Ballard, considéré comme l’une des figures importantes de la nouvelle vague de science-fiction britannique. Le producteur Jeremy Thomas a acquis les droits du roman en 1975. Dans un premier temps, il avait pensé à Nicolas Roeg pour la réalisation, confiant finalement le projet au réalisateur de « Kill List » (2011), Ben Wheatley. Pour son nouveau long-métrage, le réalisateur britannique s’est entouré d’un casting prestigieux réunissant Tom Hiddleston (« Crimson Peak »), Sienna Miller (« American Sniper »), Luke Evans (« The Hobbit »), Jeremy Irons (« Margin Call ») ou encore Elisabeth Moss (« Mad Men »). Avec « High-Rise », Ben Wheatley nous invite à contempler sur grand écran l’une des œuvres de Ballard. Ce dernier avait déjà inspiré d’autres cinéastes par le passé, Steven Spielberg (« Empire of the Sun », 1987) et David Cronenberg (« Crash », 1996). Notons que ces deux films avaient été également produits par Jeremy Thomas.

Néanmoins, la première critique que nous adressons à cette adaptation cinématographique est le choix de la période des seventies dans laquelle Ben Wheatley et la scénariste Amy Jump ont décidé d’ancrer le récit, le rendant d’une certaine façon atemporel. Le réalisateur justifie ce choix pour le bon fonctionnement de l’histoire. Si celle-ci avait été placée dans un futur plus ou moins proche, plusieurs éléments du livre auraient dû être modifiés ou ajoutés (réseaux sociaux, smartphones, etc.)1. Mais il aurait peut-être été intéressant de s’écarter du livre pour avoir un objet filmique à vocation prophétique. Cela aurait amené davantage le spectateur à réfléchir sur la société, sa dépendance à la technologie et l’impact que cela pourrait avoir sur l’avenir. Au lieu de cela, nous nous retrouvons face à une uchronie qui renvoie notre regard vers un passé réécrit.

Lorsque le film s’ouvre, nous découvrons le Dr Laing sur son balcon, la chemise rouge de sang, en train d’écouter de la musique classique tout en faisant rôtir l’une des pattes du chien de l’architecte de la tour. Nous savons donc déjà ce qui arrive au personnage principal et en tant que spectateur face à ces images, notre attente est de savoir quelle a été la cause de ce passage à l’état sauvage dans lequel le protagoniste semble être à l’aise. C’est ce que le film s’apprête donc à nous faire comprendre en déroulant un long flash-back où vont être abordés plusieurs thèmes, toujours d’actualité, tels que le conformisme ou encore l’impunité des plus puissants.

Mais « High-Rise » est avant tout une critique du matérialisme représenté dans toute sa splendeur par la tour de béton. Celle-ci est d’abord magnifiée par des plans en contre-plongée. Conçue comme une expérimentation par l’architecte Anthony Royal, cette construction n’est autre qu’une hiérarchisation de l’espace à la verticale. Tout en haut, nous avons les riches, tout en bas les pauvres et au milieu, notre protagoniste, le Dr Laing. Celui-ci se retrouve suffisamment haut pour côtoyer les riches, mais suffisamment bas pour ne pas être accepté comme l’un des leurs. C’est avec une grande retenue que l’acteur Tom Hiddleston incarne ce personnage qui tente de garder une certaine distance par rapport aux rivalités qui se jouent entre les locataires jusqu’à finalement succomber à leur jeu.

À l’intérieur de cette tour, les habitants trouvent tout ce dont ils ont besoin : épicerie, piscine, salle de sport, etc. Cela a pour conséquence de les isoler du reste du monde puisqu’ils n’éprouvent pas la nécessité d’en sortir, excepté pour aller travailler. Mais une série d’incidents techniques va venir perturber l’organisation de la tour (panne d’ascenseur, mauvais éclairage). Ce disfonctionnement va avoir un impact sur les habitants, entraînant une série de révoltes de la part des étages inférieurs qui vont venir envahir les niveaux supérieurs.

Au cours de la seconde partie du film, la tour va davantage être filmée en plongée, témoignant de la perte de son caractère utopique. Le réalisateur va également poser un geste cinématographique qui va venir bouleverser la structure classique et fluide présente dans la première partie pour en faire une version plus chaotique. Alors que le point de vue sur le récit se rattachait essentiellement au personnage du Dr Laing, celui-ci va se démultiplier et se fractionner à la manière d’une vision kaléidoscopique. Tout cela s’accompagne d’un montage frénétique. Cette idée de contamination du fond sur la forme vient ainsi déranger le spectateur. Celui-ci est positionné tout au long du récit en tant que voyeur grâce à une caméra qui maintient une certaine distance par rapport aux personnages, excepté peut-être par rapport au Dr Laing, du moins au début. Ce manque de proximité a pour effet que le spectateur ne ressent quasiment aucune empathie envers les personnages, même dans les scènes les plus violentes (suicide, viol,…).

En conclusion, c’est un objet filmique fascinant et dérangeant que nous offre Ben Wheatley à travers cette adaptation du livre de Ballard. Contemplation d’une société qui s’autodétruit tout en continuant à faire la fête, « High-Rise » bénéficie d’une bande son exceptionnelle grâce au travail du compositeur Clint Mansell. Ce dernier a notamment collaboré avec Aronofsky sur son second film, « Requiem For A Dream » (2000). Mais notre coup de cœur va sans aucun doute à la séquence rythmée au son du morceau « SOS » d’Abba, repris par le groupe anglais Portishead.

(Nathalie De Man)

1 http://cinephilia.fr/blog/interview-de-ben-wheatley-high-rise/