Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud
Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), fervent catholique, marié, père de cinq enfants, vit à Lyon. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre pédophile, Bernard Preynat [1], qui a abusé de lui durant son enfance dans le cadre d’activités de scoutisme, officie encore et est toujours en contact avec des enfants. Persuadé que les dignitaires de l’Eglise prendront les mesures et les sanctions nécessaires à l’égard du Père Preynat, Alexandre entreprend, dans le plus grand respect du protocole, les démarches visant à éviter que d’autres enfants ne deviennent les proies du prédateur. Il sera ensuite rejoint dans son combat par François Debord (Denis Ménochet) et Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud), tous deux également victimes d’abus.
« Précédemment, j’avais principalement développé des personnages féminins forts, et le cinéma nous a habitués à placer les hommes dans l’action plus que dans l’émotion, qui est souvent réservée aux femmes, explique François Ozon. J’avais donc l’idée de faire un film mettant à l’avant-plan la fragilité masculine. C’est tout à fait par hasard, poursuit-il, que je suis tombé sur l’affaire Preynat et le site de l’association « La Parole Libérée », lequel recense, entre autres, de nombreux témoignages d’hommes abusés dans leur enfance par le prêtre lyonnais. J’ai été particulièrement ému par le témoignage d’Alexandre (incarné par Melvil Poupaud à l’écran), que j’ai rencontré par la suite, avec d’autres victimes et leurs proches. Fasciné par les documents qu’Alexandre m’avait fournis, j’avais d’abord envisagé de faire un documentaire sur le sujet mais devant les réticences des victimes qui préféraient éviter de s’exposer à nouveau dans les médias, l’idée de faire une fiction s’est alors imposée. ». C’est en ces termes que le réalisateur français a exposé à la presse la genèse de « Grâce à Dieu », qui concourait dans la compétition de la 69ème édition de la Berlinale, et dont il est reparti avec le Grand Prix du Jury, une récompense amplement méritée tant le film en impose par sa puissance cinématographique et l’approche sensible de son sujet.
S’articulant sur un scénario en trois temps (lequel s’inspire directement de la réalité des faits) où chacun des protagonistes se passe tour à tour le relais, le film évolue sur un rythme tout en gradation, passant de la retenue au retentissement médiatique jusqu’à la tonalité mélodramatique, sans pour autant verser dans un pathos malvenu. Une brillante gradation tout en fluidité entrant en parfaite résonnance avec les sensibilités particulières des victimes tant sur le plan émotionnel que spirituel. Parallèlement, c’est aussi avec une remarquable virtuosité que ce tempo progressif, qui épouse harmonieusement le fond et la forme, se met au diapason des démarches entreprises par chaque personnage ainsi que du contexte familial au sein duquel ils évoluent respectivement.
Loin de se présenter comme un réquisitoire manichéen à l’encontre de l’Eglise, « Grâce à Dieu » n’est pas un film judicaire mettant en scène les procès incriminant le Père Preynat ainsi que le Cardinal Barbarin [2]. S’il relate certes scrupuleusement les échanges épistolaires qui initièrent le combat d’Alexandre, et dévoile l’omerta qui règne au sein de l’Eglise depuis des décennies et dont les plus hauts dignitaires se sont fait les complices, « Grâce à Dieu » se place avant tout, avec une empathie prégnante et sans sensationnalisme, aux côtés des victimes. À ce titre, il raconte donc leur combat, évoque avec une immense pudeur leurs traumatismes et leurs souffrances, il exprime avec vérité et justesse leurs ressentis et relaie leur parole avec force, démontrant d’ailleurs magnifiquement les répercussions sismiques qu’entraine la libération de la parole au sein de l’entourage proche et l’onde de choc qu’elle suscite dans les relations intrafamiliales.
Film citoyen d’une indéniable utilité publique, dont la noblesse d’approche est aussi remarquable que salutaire, « Grâce à Dieu » est à soumettre, sans crainte, à tous les regards, des grands comme des plus petits.
Christie Huysmans
[1] La date du procès de Bernard Preynat n’a pas encore été fixée.
[2] Le 7 mars dernier, le Cardinal Philippe Barbarain a été condamné à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les agressions sexuelles sur mineurs du père Bernard Preynat. Suite au jugement, auquel il fera appel, le prélat a a remis sa démission au Pape François, lequel l’a refusée invoquant « la présomption d’innocence ». Philippe Barbarin reste donc archevêque de Lyon en attendant son procès en appel, mais il a annoncé qu’il se mettait "en retrait pour quelque temps".