Adaptation d’un livre
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GONE GIRL

David Fincher

Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris

145 min.
8 octobre 2015
GONE GIRL

En une dizaine de films seulement, notamment Se7en  (1995), Fight Club  (1999), Zodiac  (2007), The Girl With The Dragon Tattoo  (2011), David Fincher s’est imposé comme l’un des réalisateurs incontournables du cinéma américain contemporain dont chaque nouveau projet attise la curiosité et l’excitation des spectateurs comme des critiques. Gone Girl  est un nouveau tour de force d’un cinéaste qui a, de toute évidence, encore beaucoup à raconter tout en cultivant ses obsessions.
 
Avec Gone Girl , l’adaptation du best-seller Les Apparences  de Gillian Flynn - aussi scénariste du film -, Fincher dresse le portrait d’un couple, Amy et Nick Dunne, de leur rencontre au mariage, en passant par les étapes de déliquescence du couple jusqu’à la disparition de la jeune femme. Tout semble accuser Nick, le mari désinvolte et infidèle. 
 
Gone Girl  s’ouvre sur un plan de la tête d’Amy Dunne alors que son mari prononce en voix off : « When I think of my wife, I always think of the back of her head. I picture cracking her lovely skull, unspooling her brain, trying to get answers. The primal questions of a marriage : What are you thinking ? How are you feeling ? What have we done to each other ? What will we do ?  ». Le ton est donc donné. Pendant 2h30, Fincher va chirurgicalement soulever le voile des apparences et répondre à la question que tout le monde se pose dans les récits : que se passe-t-il après le « Ils se marièrent et vécurent heureux » ? 

Pour y répondre, Fincher met à mal le conte de fées (qui sonne faux après-coup) et propose un incroyable film noir qui transcende les attentes du thriller pour se muer en un monstre cynique et jubilatoire (dialogues acerbes, ironie, outrance glaciale). Car, en effet, après un premier segment qui use des ficelles du thriller (disparition, enquête, jeu de pistes) méticuleux, le film s’oriente vers la farce corrosive et la satire. Et c’est bien là que Gone Girl  tire toute sa force et toute son épaisseur. 
 
Mais le film va plus loin. Le théâtre des apparences et des faux-semblants du couple devient le réceptacle d’une société qui fabrique des performers , des modèles de vie, des pantins qui, sous la coupe de leurs échecs et de leurs frustrations, deviennent des êtresdésincarnés incapables de vivre ensemble, de coexister. Et pour mettre en scène ce constat d’échec, le réalisateur, en tant que Grand Imagier, se fait le garant d’une vérité toujours médiée, jamais accessible directement. Dès lors, le récit adopte différentes voix, différentes tonalités et un point de vue multiple dont les actants s’avèrent tous être plus unreliable  les uns que les autres. À ce titre, le motif de la dualité et du dédoublement - Amy Dunne et son double littéraire « Amazing Amy », les jumeaux, les scènes qui se répondent - contamine et emprisonne les personnages, condamnés à n’être qu’un type, une construction sociale. Amy sera à tour de rôles : l’enfant chérie de l’Amérique, la victime ou l’incarnation de la femme froide et manipulatrice. Avec aucune possibilité de revenir en arrière. À l’écran, Rosamund Pike (véritable révélation du film) met à profit sa beauté inquiétante et Ben Affleck incarne à la perfection cet homme un peu lâche, un peu mou, la proie idéale. 
 
La réalisation brillante et fluide de Fincher, renforcée par l’utilisation d’une caméra HD, permet à la musique de Trent Reznor et Atticus Ross d’offrir un joli contre-point et d’installer une tension palpable. La photographie de Jeff Cronenweth participe, quant à elle, à révéler le simulacre, la brume sous la couche de sucre. Enfin, grâce à sa narration labyrinthique, le film ne se contente pas de dresser un portrait au vitriol du couple, de la société et des médias, il interroge également le rapport du spectateur aux images, à ce qu’on lui donne à voir dans un geste qui n’est pas sans rappeler De Palma ou Verhoeven. 

À l’instar du personnage d’Amy Dunne, Gone Girl est une machine implacable, sans compromis, d’une efficacité et d’une maitrise redoutables à partir de laquelle Fincher orchestre un jeu de dupes à la fois macabre et jouissif, où le spectateur devient témoin, complice et victime d’une horreur insidieuse : la violence de nos existences, de notre quotidien.
 
( Katia Peignois )