Adaptation d’un livre
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ELLE

Paul Verhoeven

Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Charles Berling, Anne Consigny, Virginie Efira, Judith Magre.

130 min.
25 mai 2016
ELLE

Un soir, Michèle (Isabelle Huppert) rentre chez elle et se fait violer par un homme cagoulé et entièrement vêtu de noir. Seul spectateur de ce crime aussi rapide que violent, le chat de Michèle, lequel assiste à la scène avec l’impassibilité d’une statue de marbre. Contre toute attente, Michèle n’appelle pas la police, prend tout simplement un bain et continue à vivre comme si rien n’avait eu lieu. Toutefois, son passé trouble ayant toujours pu la rattraper, elle se décide à mener sa petite enquête afin d’identifier son agresseur. Il ne lui faudra pas longtemps pour découvrir l’identité de son violeur, et s’ensuit alors un jeu pervers et fantasmagorique où les rôles de dominant et de dominé, de bourreau et de victime, mutent et deviennent interchangeables.

Adapté du roman « Oh… » de Philippe Djian, titre qui n’est pas sans rappeler le roman érotique de Pauline Réage, « Histoire d’O », Elle dresse avant tout le portrait d’une femme complexe dont le profil n’est guère éloigné de ces psychopathes ordinaires, communément qualifiés de pervers narcissiques, qui, sous le couvert d’une vie apparemment normale, et généralement issus d’un milieu très fortuné, font preuve d’une insensibilité à toute épreuve et ne rechignent jamais à faire souffrir leur entourage insidieusement et avec un sens extrêmement raffiné de la perfidie. À ce titre, Michèle est un modèle du genre : rien ni personne ne l’affecte mais elle est capable de déployer une redoutable énergie lorsque ses propres intérêts, qu’ils soient mineurs ou d’importance, sont en jeu. Le bonheur des autres, lorsqu’elle n’y participe guère ou qu’elle ne s’y trouve pas au centre, est pour elle synonyme de castration. Egocentrée, hyper dominatrice, cette chef d’entreprise d’une société active dans le secteur du jeu vidéo, séparée d’un homme dont elle cherche encore à contrôler sournoisement la vie, mère d’un fils avec lequel elle entretient des rapports d’où la tendresse est exclue, fille d’une cougar qui est loin de battre en retraite sur le plan sexuel…, mène tout son petit monde à la baguette et manie le cynisme avec maestria. Tout curseur moral étant absent de sa vie, c’est aussi sans état d’âme qu’elle entretient une relation sexuelle avec le mari de sa meilleure amie et associée, un homme qui, dit-elle, « l’a séduite par sa bêtise ».

Si intérêt il y a dans ce dernier film de Verhoeven, sélectionné au 69ème Festival de Cannes, celui-ci réside principalement dans la brillantissime interprétation d’Isabelle Huppert, qui n’aurait guère volé la Palme d’interprétation féminine. Sa prestation est tellement magistrale que l’on pourrait presque en déduire, sans être mauvaise langue, que ce rôle lui va comme une seconde peau. Certains verront peut-être dans ce personnage iconoclaste une dénonciation, par son contraire, d’une société machiste et déshumanisée qui, encore aujourd’hui, fait toujours trop peu de cas du viol en tant que crime, et où la victime en vient à être considérée comme coupable de ce qu’elle a subi. D’autres y liront peut-être la critique acide et métaphorique d’une haute bourgeoisie qui, de sa tour d’ivoire, n’est jamais atteinte par les désordres qu’auraient à subir ceux qui se trouvent en dessous d’elle sur l’échelle sociale. Mais à ce titre, chacun y verra ce qu’il veut bien y trouver…

Pour le reste, force est de constater que certains éléments laissent regrettablement à désirer et suscitent une impression globale d’inabouti. Certes, la mise en scène particulièrement lissée du réalisateur néerlandais ne peut souffrir d’aucun grief, et les dialogues, souvent cyniques et drôles, font mouche. Par contre, en termes de choix narratif et sur le fond scénaristique, Elle demeure imparfait, et en conséquence, le qualificatif de thriller psychologique ne lui convient qu’à moitié. Dans un premier temps, Elle emprunte la voie d’un demi-suspense, qui, très vite, se mue en un pseudo-suspense aussi inutile que grossier. Le fil rouge du film ne tient en effet pas à la découverte de « l’énigmatique » violeur, et respecte à cet égard la lettre du livre dont il s’inspire. Mais l’union du prévisible et du suspense est, faut-il le souligner ?, particulièrement mal assortie. Par ailleurs, quitte à choquer les âmes sensibles, les oreilles chastes et les bien-pensants, on aurait pu attendre de la part d’un réalisateur tel que Verhoeven d’aller beaucoup plus loin dans l’exploration de la perversion sexuelle de son personnage, ne fut-ce que sur le plan des fantasmes. De même, sans doute eût-été il intéressant de creuser d’avantage les ressorts psychologiques qui animent et meuvent la glaciale Michèle. 

D’aucuns conviendront peut-être que confier à une femme un rôle tel que l’incarne Isabelle Huppert a peut-être déjà de quoi déranger certains spectateurs, mais quitte à bousculer les lignes de la bienséance, pourquoi ne pas y être allé plus à fond ?

(Christie Huysmans)