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ELEVE LIBRE

Joachim Lafosse ( France - Belgique / Distributeur : Cinéart)

Jonas Bloquet, Jonatahn Zaccaï, Yannick Renier, Anne Coesens

90 min.
21 janvier 2009
ELEVE LIBRE

A quel moment la transmission devient-elle perversion ? Peut-on appréhender l’éducation comme un pouvoir, un moyen de manipulation ? Est-ce que tout est enseignable, ou à l’inverse est-ce que l’enseignement est forcément axe de main mise possible ?

C’est ce type de questionnement qui motive le nouveau film de Joachim Lafosse ; la volonté, farouche de décortiquer un processus, celui de l’accompagnement de Jonas, adolescent en décrochage scolaire, par Pierre et un couple d’amis, adultes aux motivations peu clairs.

De l’intention annoncée de l’aider dans son parcours pour passer le jury central, on dérive petit à petit vers une assistance tout autre, terriblement intrusive et déroutante, celle de l’apprentissage sexuel, avec, en point de mire esquissé, le désir inavoué de Pierre pour Jonas, et son incapacité à l’assumer ouvertement.

Jonas, en pleine période de doutes, est une proie facile, un être qu’il est aisé de toucher aux points sensibles. Ils titillent sa virilité naissante, chatouillent là où ça fait mal, où sa capacité à faire l’amour correctement est remise en cause, et très vite, Jonas tombe dans le guet-apens. Il sombre dans une spirale qui l’entraine sans cesse plus loin, dans la découverte annoncée d’une sexualité soi-disant libérée, mais qui n’est en fait que la couverture que des adultes profondément névrosés ont tirée à eux. 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. « Elève Libre », bien qu’il soit majoritairement centré sur Jonas, traite d’adultes. D’adultes qui manquent tellement de repères, qui sont tellement persuadés que la liberté est une valeur majeure, passant avant toute chose, qu’ils en ont perdu tous repères, toutes limites. Seules survivent leurs désirs, leurs envies, leurs appétits. Jonas se retrouve pris dans ce cercle plus que vicieux, il n’a pas les moyens de comprendre qu’il est en train de se laisser emmener, happer par un univers qui le dépasse.

Parce que ce que Jonas est désespérément seul. Parents séparés et totalement absents, il n’a qu’un frère qui essaye vaguement de veiller sur lui, avec ses petits moyens. On retrouve dans « Elève Libre » cette thématique familiale qui structurait déjà les précédents films du réalisateur, de « Folies Privées » à « Nue propriété ». Mais cette fois, c’est bien de la désertion totale de cette cellule familiale qu’il est question, de son abandon de Jonas, qui du coup, n’a d’autres choix que de placer sa confiance, son besoin de soutien dans les mains d’adultes qui ne savent pas ce qu’est l’éducation, mais en ont une idée totalement pervertie.

Film en filiation donc, mais qui se démarque par un travail formel tout à fait différent, loin des cadres fixes de « Nue Propriété », ou de la caméra mouvante, énervée de « Ca rend heureux ». Joachim Lafosse opte ici pour un dispositif plus complexe, entre plan large captant le groupe dans son ensemble, révélant la manipulation progressive entre les différents êtres qui peuplent l’écran, et gros plans sur les visages, traquant les émotions, du plaisir à l’effroi. Toujours, le corps est au centre, comme facteur révélateur de l’émotionnel des personnages, comme support à leurs affects ; c’est lui qui se pose comme leitmotiv à l’image.
Joachim Lafosse propose avec ce quatrième long métrage un film réfléchi, loin de clichés habituels sur des thématiques du même genre. Il faut cependant noter que cette détermination à penser le parcours de Jonas a par moment quelque chose d’un peu trop intellectualisé. L’abondance de scènes dialoguées entrave le rythme du film, qui du coup semble lent, dans une dynamique acidulée, entre temps morts et discussions incessantes. De cette lenteur nait une certaine lourdeur, l’impression étrange que le film finit par se complaire dans ce caractère malsain.  

Finalement, on sort d’ « Elève Libre » avec une sensation d’indétermination. Et c’est bien cela que cherche Joachim Lafosse. Il pousse le spectateur dans ses retranchements, le questionne dans ses tréfonds. Reste à voir si ce dernier tiendra le coup. Ou même s’il aura envie d’en relever le défi.

(Justine Gustin)