Les brèves des Festivals

COMPÉTITION OFFICIELLE suite...

4 mars 2016
COMPÉTITION OFFICIELLE suite...

Zero Days d’Alex Gibney : une plongée effarante dans la guerre informatique

Le documentariste Alex Gibney, oscarisé en 2008 pour Taxi to the Dark Side et « étonnamment » absent des Oscars 2016 pour son reportage sur l’église de la scientologie, revient sur la découverte en 2010 du virus Stuxnet par des experts informatiques. L’enquête complexe mais extrêmement fouillée du réalisateur américain révèle que ce virus, devenu incontrôlable, et qui a d’ailleurs endommagé à l’échelle planétaire les services informatiques de nombreuses entreprises et institutions publiques, a été mis au point par les Etats-Unis, Israël et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne comme arme de guerre contre l’Iran afin d’affaiblir ses dirigeants dans leur course à l’arme atomique. La mise au point ce virus (originellement baptisé « Olympic Games ») n’a pas manqué d’avoir des effets pervers inattendus qui se sont retournés contre ses instigateurs. Des répliques iraniennes ont déjà eu lieu aux Etats-Unis comme en Israël, et l’escalade semble inévitable. Plus grave encore, la cyber attaque développée dans le cadre de l’opération « Olympic Games » ne semble être que le début d’une guerre informatique mondiale sans fin qui risque bien de menacer des milliers de vies humaines et innocentes.

Évidemment, les gouvernements et les services impliqués dans cette cyber attaque ont toujours nié les faits, et c’est la loi du silence et du secret qui prédomine, mais la longue et détaillée investigation d’Alex Gibney ne laisse planer aucun doute quant à leur responsabilité effective.

Cette plongée effarante et inquiétante dans un univers miliaire, qui utilise désormais l’informatique comme une redoutable arme de destruction massive, aurait bien mérité de se retrouver au Palmarès tant l’avenir que nous décrit Gibney se profile comme apocalyptique, mais le Jury International a visiblement préféré rester fidèle à l’idéal humaniste de la Berlinale plutôt que de s’aventurer sur un terrain plus dérangeant et plus provocateur.


Alone in Berlin
de Vincent Perez : Allein in Berlin !

Le film de Vincent Perez est pétri de bonnes intentions ; il peut aussi se targuer d’un casting de choix (Emma Thomson, Brendan Gleeson, Daniel Brühl).
Malheureusement ce magnifique casting est aussi ce qui le pénalise irrémédiablement. Les faits historiques qu’exhume le réalisateur suisse ne manquent certes pas d’intérêt (la résistance d’Anna et Oto Quangel au régime nazi en 1940). Ils se rapprochent néanmoins très forts de l’action téméraire de Sophie Scholl dont le destin tragique avait été magnifiquement porté à l’écran par Marc Rothemund en 2005.

Cependant, Vincent Perez commet un hiatus linguistique irréparable. Comment croire à ces personnages lorsque ceux-ci s’expriment en anglais et écrivent des lettres en allemand ? Comment ne pas avoir les oreilles écorchées lorsque les acteurs allemands parlent en anglais dans un contexte historique où le Führer voulait faire de l’Europe un empire radicalement germanisé ?

Un journaliste allemand rencontré sur place soulignait même l’inutilité de ce de film : « Ce type de sujet a déjà été abordé des dizaines de fois par des réalisateurs allemands. Pourquoi dès lors un réalisateur suisse prend-il encore la peine de faire ce genre de film ? » « Quant à la mise en scène, elle appartient à l’époque de mes parents. », ajoutait-il.

Rien d’étonnant donc à ce que ce film se soit fait huer par la presse !


Genius
 : un film qui fera plaisir aux éditeurs

Premier long-métrage du britannique Michael Grandage, Genius revient sur la carrière éclair de l’excentrique Thomas Wolfe (Jude Law), écrivain réputé pour ses romans fleuves, et surtout sur sa relation intime et dense avec l’éditeur Max Perkins (Colin Firth), qui fut le premier éditeur américain à publier Ernest Hemingway et F. Scott Fitzgerald. La performance du casting ne déçoit évidemment pas, et pour un premier film, le cinéaste fait preuve d’une mise en scène aussi précise que raffinée. On soulignera également la très belle reconstitution du New York des années trente et la plaisante atmosphère qui se dégage de l’ensemble du film. Le cinéaste prend certes quelques libertés très romanesques pour restituer la vie de Thomas Wolfe mais le film ravira assurément les éditeurs dont on ignore trop souvent l’important travail de maïeutique dans l’accompagnement des écrivains.

Soy Nero de Rafi Pitts : l’intention est louable mais le résultat indigeste

Nero, un jeune mexicain, parvient à traverser la frontière qui sépare les États-Unis du Mexique. Arrêté, il prétend être né à Los Angeles et avoir été l’innocente victime du Patriot Act. Reconduit dans son pays d’origine, Nero ne démordra pas de son rêve d’être reconnu en tant que citoyen américain et il mettra tout en œuvre pour obtenir la nationalité convoitée, et ce, grâce à la « Green Card Soldier ». C’est en effet avec une ironie morbide que dans la foulée du Patriot Act, le Dream Act a été voté et permet à des hommes et les femmes venus des quatre coins de la planète de s’engager dans l’armée et d’obtenir la nationalité américaine au bout de deux ans de bons et loyaux services.

C’est sans aucune finesse et avec une troisième partie interminable (qui se déroule en Afghanistan) que le réalisateur iranien essaie de dénoncer péniblement l’absurdité et l’incohérence de la politique américaine en matière d’immigration. Sur le fonds, l’entreprise du réalisateur iranien est louable mais le résultat final est lamentablement indigeste.


A Dragon Arrives !
de Mani Haghighi : une fiction documentaire qui aurait pu se passer de la forme docu

22 janvier 1965. Une Chevrolet Impala orange traverse un paysage désertique. Elle roule en direction d’une épave de bateau abandonnée depuis des années sur l’île de Qeshm et se situant à proximité d’un cimetière. Au volant, l’inspecteur de police Babak Hafizi, qui est venu enquêter sur la pendaison suspecte d’un prisonnier politique, condamné au bannissement par le régime de l’époque.
Pourquoi ce prisonnier s’est-il pendu alors qu’il était sur le point de recouvrer la liberté quelques jours plus tard ? Cet étrange suicide a-t-il un lien quelconque avec l’assassinat du Premier Ministre qui a eu justement lieu la veille ? Que signifient toutes les notes et les symboles écrits sur le mur de sa cellule ? Très vite, le policier comprend que le prisonnier ne s’est pas donné la mort mais a bel et bien été tué. Par qui et pourquoi ? En dépit des mises en garde énigmatiques et prophétiques exprimées par un habitant de l’île, Hafizi décide de demeurer sur place pour continuer à enquêter. Mais durant la nuit, il assiste à un tremblement de terre des plus étranges. Quelques jours plus tard, il reviendra sur l’île, assisté d’un ingénieur du son et d’un géologue pour percer à jour le mystère de cette affaire.

50 ans après les faits, il s’avère que l’inspecteur Hafizi et ses comparses ont été enlevés. Pourquoi et par qui ?

Le film de Mani Haghighi est à la mesure du sujet dont il traite : complexe et énigmatique. En ayant choisi d’opter pour un mélange expérimental entre cinéma et documentaire, le réalisateur passe alternativement d’un registre à l’autre et fait d’incessants allers-retours entre les données du passé et les éléments découverts récemment concernant ce fait historique. Il s’agit donc de ne pas en perdre une miette si l‘on veut tâcher de comprendre toute cette affaire dont l’issue demeure quelque peu frustrante.

(Christie Huysmans)