Chef d’oeuvre
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COEURS

Alain Resnais (France 2006 - distributeur : Cinéart)

Sabine Azéma, Laura Morante, Isabelle Carré, André Dussolier, Pierre Arditi, Lambert Wilson

125 min.
29 novembre 2006
COEURS

« Cœurs » ne serait-il pas, dans l’œuvre de Resnais, une sorte de point d’orgue cristallisant avec une impeccable rigueur formelle, l’un des thèmes majeurs de sa création : la solitude générée par l’incapacité d’aimer ?

Le cinéma est un merveilleux outil d’investigation de la condition humaine qui place le spectateur en position de témoin de ce qui se passe dans les têtes et cœurs des personnages. Chez Resnais l’amplitude de cette attitude voyeuriste est maximale parce qu’il donne, avec une générosité peu commune, de ses personnages différents points de vue, éclairés par des placements de caméra à la fluidité parfaitement cadrée et en l’occurrence cloisonnée par toutes espèces de matériaux (rideaux, murs, vitres, portes) qui sont autant d’échos au repli sur soi des protagonistes bridés par leur peur d’entrer en relation féconde avec l’autre.

La géométrie de la mise en scène de Resnais, son incroyable richesse de forme et de fond ne sont pas sans rappeler les meilleurs Aki Kaurismaki ("Lights in the dusk" ) ou Ming-liang Tsai ("Good bye, Dragon inn"), ces deux chantres de la pénombre relationnelle.

L’histoire de « Coeurs » est à la fois simple et complexe. Elle a pour cadre le nouveau Paris du quartier Tolbiac, elle dure quelques jours et met en présence six hommes et femmes unis, comme dans un chœur, autour d’un chant commun : le dénuement affectif.

Fidèle à son souci de faire scénariser par d’autres ses récits - est-ce pour le plaisir de l’écriture en conversation avec un complice ? - Resnais a demandé à Jean-Michel Ribes d’adapter la pièce d’Alan Ayckbourn « Private fears in public places ». C’est sa deuxième approche, après « Somking/No smoking » en 1993 (*), d’un texte de ce dramaturge anglais. Rencontre moins hystérique mais plus poignante parce qu’elle accentue l’impression d’un inexorable resserrement des humains sur leurs impossibilités existentielles qui les condamnent à « n’être que ce qu’ils sont » comme le constate avec infiniment de tristesse Pierre Arditi.

Est-ce pour accompagner cette douloureuse constatation que l’écran est enneigé comme s’il était endeuillé - linceul posé avec infiniment de douceur, comme une caresse consolatrice, sur les relations à l’autre vouées à l’échec, à la mort ?

Surtout il ne faut pas croire, en raison de la gravité de son thème, que « Cœurs » est un film désespéré. Les répliques fusent, souvent amusantes et ironiques - l’humour est une des armures de la mélancolie. Les acteurs, dont la plupart (*) font partie de la troupe-à-Resnais, sont dans le don d’eux-mêmes, comme on peut l’être lorsqu’on tourne avec un cinéaste qui pense moins à diriger qu’à capter, avec intelligence et simplicité, ce qui s’échappe de ses comédiens.

Il y a du Watteau ou du Schubert (celui du « Winterreise ») dans ce Resnais. Une exigence stylistique qui empêche l’émotion d’inutilement déborder. (m.c.a)

(*) dont l’adaptation française est due au couple Jaoui/Bacri
(*) Saluons l’arrivée dans la bande des quatre (Azéma/Arditi/Dussolier/Wilson) de la magnifique Isabelle Carré et de la toute belle Laura Morante. Et les retrouvailles avec la voix de Claude Rich dans un contre-emploi qui étonne si l’on se souvient de la délicate magie amoureuse qui était la sienne dans « Je t’aime, je t’aime ».