Premier long documentaire du cinéaste belge Nicolas Graux, « Century of smoke » nous plonge dans les abîmes de la petite communauté Akha, située dans la jungle laotienne. Pour survivre, les Akhas cultivent l’opium, une ressource lucrative qui s’avère être en même temps le poison qui endort les hommes et tue leurs désirs.
La caméra de Nicolas Graux capte avec lenteur et patience le désespoir dans lequel l’opiacé a engouffré la vie dans cette communauté. Couchés, les hommes paraissent échoués au sol, à fumer l’opium au rythme effréné de leur manque, pendant que les femmes travaillent dans les champs, s’occupent des enfants, des tâches ménagères…
Le mal-être est omniprésent.
Les gros plans dressent des portraits d’une immense tristesse et les vastes paysages de montagnes submergées des pluies tropicales sont au diapason. Tout semble crier une souffrance silencieuse, étouffée par d’épaisses couches de brume, par la fumée inhalée, exhalée, inhalée et exhalée jusqu’à l’infini. L’opium, l’échappatoire, l’opium, la prison.
Nous entrons dans une parcelle de vie du jeune Laosan, père de famille, accro depuis un an. Ses parents, addicts depuis la mort de son frère pour apaiser leur chagrin, cherchent à secouer Laosan de son état léthargique, mais sont incapables à reconnaître et à nommer le mal qui ronge leur communauté. Le regard dans le vide, Laosan paraît complètement amorphe, mais se rend bien compte de ce qu’il est devenu et pense que la seule possibilité de s’en sortir réside dans le pouvoir de l’État laotien à interdire la culture de l’opium.
Des lamentations déchirantes, telles des chants venus de l’enfer, retentissent chez les femmes, qui partagent, le temps d’une séquence du documentaire, leur rêve de s’enfuir, de revenir dans le temps et d’épouser un Chinois, d’en finir avec cette vie.
Enclavé entre le Vietnam, la Thaïlande, la Chine, le Myanmar et le Cambodge, le Laos est une zone d’ombre oubliée de notre monde que Nicolas Graux a voulu mettre au jour. Le cinéaste raconte avoir été magnétisé par la jungle où se situe notamment la communauté Akha et avec son documentaire « Century of Smoke », il porte à voir et à entendre comment l’opium a affecté ces vies. Un documentaire qui aura peut-être aussi donné la possibilité aux habitants de ces lieux de sortir de ce tabou qui les anéantit en commençant par en parler entre eux et autour d’eux. De sortir de cette solitude silencieuse.
Luz