A méditer
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CARCASSES

Denis Côté (Canada 2009)

Jean-Paul Colmor

72 min.
15 septembre 2010
CARCASSES

Quand on s’appelle Côté n’est-il pas dans l’ordre des signifiants (donc des choses) de faire un cinéma qui soit « à côté », en marge de la norme ?

De toutes les normes.

Financière - le film a coûté moins de 6.000 €.

Narrative - il va et vient entre le documentaire et la fiction. Celle-ci devenue nécessité suite à l’irruption d’un élément disturbateur - l’arrivée inopinée de jeunes trisomiques dans le lieu de l’action - qui rompt l’équilibre de sagesse et de paix d’une première partie envoûtante.

Qui montre, sans la précision d’une description, la rigueur d’une volonté démonstrative ou le flou du décalé , mais avec infiniment de respect et de douceur, juste rayée de chants d’oiseau et de frémissements de feuilles, un champ de carcasses de voitures, tracteurs et camions.

Champ au sein duquel se déplace, virevolte, fait du commerce, soliloque et philosophe un sémillant et solitaire ferrailleur dont la tête couronnée de cheveux blancs évoque celle d’un Jean-Luc Godard auquel on aurait interdit de faire son mystérieux.

Se définissant lui-même comme un « ramasseux », il aurait pu être un des glandeurs chers à Agnès Varda ou un personnage de Simenon. A la phrase épurée, au regard tantôt étonné tantôt malicieux lorsqu’on lui pose des questions sur le mode de vie qu’il s’est choisi.

Retiré du monde mais pas coupé de celui-ci, ermite mais pas ascète, il assume, revendique comme un bien précieux et rend sympathique son originalité.

Au point de comprendre que la meilleure façon de désarmer la violence du quatuor qui souhaite s’approprier son territoire est encore de se lier à eux. A sa façon silencieuse et tolérante.

Sorte d’omerta entre celui qui s’est volontairement exclu de la société et ceux que la même société a exclus parce qu’ils ne sont pas conformes.

Le ramasseux c’est Jen-Paul Colmor. Ce n’est pas un acteur mais un septuagénaire de terrain qui vit dans la Belle Province au milieu de 4.000 squelettes qui furent à 4 roues. Et qui peuvent être ressentis, sans que celui ne soit dit, comme autant de rebuts d’une société de consommation qui n’a plus la force et la santé de cannibaliser ses déchets.

Au moment où paraît en librairie « Une histoire politique des intellectuels » d’Alain Minc (*), ouvrage et auteur aussi verbeux que vaniteux, la sortie à Flagey pour quelques jours de ce moyen-métrage de 72 minutes rappelle qu’il existe d’autres façons de vivre et de penser.

Reste à chacun la liberté de se positionner. Et de choisir entre le stéréotype et l’atypique. (mca) 

(*) aux éditions Grasset