Comédie dramatique
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Coup de coeurBROKEN FLOWERS

Jim Jarmush (USA 2005- distributeur : Cinéart)

Bill Murray, Jessica Lange, Sharon Stone, Julie Delpy, Tilda Swinton

105 min.
28 septembre 2005
BROKEN FLOWERS

Qu’est-ce qu’une vie réussie ?

Quoiqu’elle soit à 3 francs 6 sous cette question a, depuis toujour, interpellé les philosophes.

Et Jim Jarmush qui en est un, à son rythme et à sa façon, va tenter de nous apporter une réponse.

Celle-ci ne nous sera donnée qu’en fin de film et elle ressemble étrangement aux billets rédigés lus par Monsieur Jean Pierre, chaque samedi à 9 heures trente, dans l’émission que la RTBF Première consacre, sur les antennes radio, au cinéma.

Si vous ne connaissez pas Monsieur Jean-Pierre, faites l’essai de l’écouter.
Vous ne risquez rien sauf de commencer le week-end le cœur dilaté de contentement.

Revenons-en à Don Johnston (avec un T contrairement au héros flamboyant de « Miami Vice »)

Don a cinquante ans. Il est riche, il ne travaille plus, il vient de se faire larguer par son amie et il s’ennuie.
Au point de se pétrifier, tel un gisant, dans son Chesterfield ciré avec la méticulosité de certains mélancoliques.

Il a oublié que vivre ce n’est pas se contenter d’exister, c’est être curieux, c’est bouger, c’est entrer en relation avec l’autre.

Son auto-enterrement de première classe est interrompu par une lettre rose qui lui annonce qu’il est le papa d’un garçon de 19 ans.

Et Don de décider de partir à la recherche de ce fils.

Il ne le trouvera pas, peut-être même que ce fils n’existe pas mais peu importe ce neurasthénique est sorti de chez lui pour renouer avec 4 de ses anciennes amours dont l’une d’entre elles pourrait être l’auteur de la lettre qu’il a reçue.

Chacune de ses rencontres incarne une façon dont on peut accueillir un ex : avec plaisir pour Sharon Stone, embarras pour Frances Conroy, distance pour Jessica Lange et rancœur pour Tilda Swinton.

Don rentre au bercail, toujours aussi seul qu’au moment de son départ mais il aura appris deux ou trois petites choses qui lui permettront de réorienter sa vie : ainsi un bouquet de fleurs il vaut mieux l’offrir que de le laisser se faner dans un vase, et le moment présent il faut le vivre plutôt que de se préoccuper d’un passé de toute façon dépassée ou d’un avenir par définition inconnu.

Comme toujours chez Jarmusch la bande son est formidable, à la fois classique et étrangement moderne, la réalisation est peut-être moins originale que d’habitude, mais
néanmoins toujours habitée par un décalage fait de burlesque et de surréalité.

L’ambiance feutrée et zen dans laquelle baigne le film permet au spectateur, plongé dans une aimable torpeur, de laisser son imagination vagabonder et de partir à la recherche de souvenirs enfouis avec bonheur dans sa mémoire cinématographique.

Ainsi la vulnérabilité des femmes du film de Mankiewicz « A letter to three wifes » qui vont se demander, chacune à leur tour, à laquelle s’adresse la lettre reçue et annonçant que le mari de l’une d’entre elles est sur le point de la quitter pour la narratrice Addie Ross qu’on ne verra pas plus que l’hypothétique fils de Don.

Ainsi le moment où le héros de « Straight story » de Lynch se met en route pour retrouver son frère et pouvoir, sous un ciel étoilé, partager un moment de tendresse complice.

Et ce long générique de début de film qui illustre le trajet du courrier envoyé n’est-il pas un hommage discret et affectueux à Truffaut qui dans « Baisers volés » suit le parcours de l’envoi, par Antoine Doinel, d’un pneumatique (quel merveilleux mot pour celui du courriel de l’époque) ?

Jarmusch est un diable d’homme car avec lui une économie de moyens entraîne un maximun d’effets .

Qui au début du film aurait parié un penny sur le fait qu’un taciturne désenchanté, à-travers la quête d’un fils, allait retisser autrement les fils de sa vie et se trouver, en plan final, à un carrefour de possibles auxquels il ne croyait plus ?

Personne sans doute sauf Jim J. qui sait comme personne faire rimer nonchalance et mouvement, distance et tendresse. (m.c.a)