Drame
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Coup de coeurBLED NUMBER ONE

Rabah Ameur-Zaïmeche (France/Algérie 2006)

Rabah Ameur-Zaïmeche, Abel Jafro, Meriem Serbah

97 min.
18 octobre 2006
BLED NUMBER ONE

S’aventurer dans les plis les plus complexes et les plus secrets de la condition humaine pour en cerner la potentialité à tout moment de basculement est le défi de ce film dont la narration polyphonique en fait une œuvre tout à la fois sensuelle et engagée.

Kamel, devenu indésirable dans l’Hexagone après y avoir purgé une peine de prison, revient en Algérie dans son bled natal.
Un bled quelconque, sans nom, juste identifié par un numéro, le premier d’une série que le cinéaste redoute pour son pays si la réalité décrite s’amplifie et contamine d’autres villages.
Un bled miroir dans lequel se reflètent les désarrois collectifs et individuels d’une communauté écrasée par le poids des traditions, les brutalités réservée aux femmes dont le comportement est juge trop moderne, et la montée d’un Islam liberticide.

Un bled bien éloigné de l’image réconfortante des « comédies (*) icebergs » qui ne donnent à voir que la surface d’une situation dont l’essentiel reste immergé.

Dans son film précédent « Wesh Wesh », la caméra d’Ameur-Zaïmeche était posée en France, dans une cité HLM de Seine-Saint-Denis, pour y suivre la difficile ré-insertion de Kamel arrêté pour trafic de stupéfiants. Le regard calme et lucide avec lequel il cernait le quotidien de son personnage principal se retrouve dans « Bled number one » mais avec, en plus, une lancinante et douloureuse question.

Que peut faire Kamel lorsqu’il découvre qu’il lui est impossible de vivre dans une Algérie, emmurée dans ses rituels, désarçonnée par l’apparition d’une violence intégriste et devenue inhospitalière vis-à-vis de ses immigrants de retour forcé au pays ?

Il reprendra le seul chemin qu’il connaît, celui de l’exil, de l’errance, pour échapper à la folie qui guette ceux et celles qui veulent secouer le joug des conventions, pour conjurer l’ennui des journées passées à fumer du kif et prendre ses distances par rapport à une radicalisation de sa religion.
Par sa prise de position intègre et mesurée contre la résurgence d’un certain fondamentalisme Amar-Zamaïche crée lien avec l’un des meilleurs films de l’Egytien Youssef Chahine « Le destin ».

Kamel, comme le héros de Giraudoux, voyage sans bagage. Il a juste un bonnet de laine vissé sur la tête et qu’il ne quittera pas, emblème d’une calamité intérieure qui l’empêche de s’ancrer quelque part.

La difficulté à s’enraciner dans une réalité qu’elle soit humaine ou géographique, est superbement explorée, dès les images d’ouverture du film, par une lente déambulation dans les ruelles du Bled, parti pris esthétique de formaliser ce point idéologique, que les Cahiers du Cinéma qualifie de « frontière métaphysique », de nouage entre l’envie de rester et celle de vouloir partir.

Dans son beau film « Chronique d’une disparition » Elie Suleiman choisissait, lui aussi, de décrire à travers un long travelling de descente vers Jérusalem, la problématique des retrouvailles avec une ville quittée depuis longtemps. Sans apprêts didactiques ou de prêts-à-penser de bazar, ces deux cinéastes nous livrent un beau témoignage sur la difficulté de renouer des liens avec un pays politiquement, socialement et religieusement métastasé. (m.c.a)

(*) « Il était une fois dans l’oued » de Djamel Bensalah ou « Beur blanc rouge » de Mahmoud Zemmouri