Deux regards - deux opinions
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BLACK SWAN (selon AJ)

Darren Aronofsky

Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Kassel, Winona Ryder, Barbara Hershey….

103 min.
2 mars 2011
BLACK SWAN (selon AJ)

La nouvelle réalisation de Darren Aronofsky, à l’aube des Oscars, est l’un de ces films qui divisent les spectateurs et ne les laissent généralement pas indifférents. De l’ennui à l’horreur, de la grandeur à la transcendance, les sentiments sont partagés. Il est parfois malaisé, aussi, de savoir sur quel pied danser, ou dans quel camp au juste notre avis trouve le plus d’écho.

« Black Swan » est un film surprenant. L’histoire suit le parcours physique, émotionnel et mental de Nina Sayers, danseuse de ballet dans une troupe de New-York, dont l’objectif est d’incarner le cygne blanc mais aussi les tourments de ce dernier, métaphorisé par le cygne noir, véritable challenge pour une danseuse ne relâchant jamais une bribe d’attention. Rêves et angoisses profondes se mêlent pour cette femme fragilisée par ses premières relations dans la vie : une mère autoritaire et contrôlante, projetant ses vœux de réalisation personnelle sur sa progéniture ; un père absent dont on ne mentionne pas une fois l’existence.

On devine que le travail mental de Nina au cours de ses années d’apprentissage de la vie a ensuite posé les barrières, les limitations à sa propre ascendance. Elle avait déjà, en partie, perdu pied avant ce défi qu’elle choisit de relever. Ses addictions mentales, ses obsessions, ne datent pas d’hier mais se trouvent exacerbées par la mise en résonance avec le fantôme d’une mère qui la blâme de lui avoir voler une partie de sa vie en naissant, d’un père absent qu’elle projette sur la figure de mentor de son chorégraphe, ce dernier activant à souhait sa culpabilité et jouant un jeu pervers de manipulation.

Le contrôle et la rigueur que Nina connaît depuis toujours sont mis à rude épreuve : il lui est demandé de lâcher-prise, de transcender la pièce. Et cela a des conséquences qui débordent sur l’ensemble de son psyché. La terreur envahit la vie de Nina, qui souffre de voir son corps, comme son essence spirituelle, courir le risque de défaillir à tout moment.

Son unique ennemi se trouve en elle, dans sa tête. Mais Nina, elle, projette l’incarnation de sa peur dans une danseuse de la côte ouest fraichement débarquée, Lily, qu’elle perçoit dès son arrivée comme une rivale menaçante. Parallèlement, elle cherche la reconnaissance dans les yeux de ceux qui l’entourent, tour à tour sa mère, Lily, le chorégraphe et metteur en scène du ballet, Thomas Leroy (interprété par Vincent Cassel qui livre une prestation recevable mais dont la prestance et le charisme ne sont pas assez magnétiques pour communiquer toute l’étoffe que demande un tel personnage) ou encore Beth, l’ancienne vedette du spectacle.

Irrémédiablement seule : c’est la solitude qui émane de Nina. Une solitude douloureuse, en perte de repères, en recherche angoissée de s’accrocher aux plus discrètes aspérités qui se présenteraient à elle. Une solitude tournée vers l’obsession, vers une tentative de se voir exister dans les yeux des autres. Une quête en relation avec l’égo profondément ancré en cette jeune femme qui cherche à tout prix à gagner son droit à l’existence au travers du défi de la perfection.

Pour incarner cette incapacité à aller vers le spontané et l’emprise d’un corps en souffrance fortement chargé que Nina ballade avec elle à chaque pas, Natalie Portman prête son corps, modelé par des heures d’entraînement de danse, son souffle, perpétuellement retenu, emprisonné dans un corps qui ne laisse aucune place à la respiration, et son visage, sans cesse contracté par la rumination perpétuelle de son mental.

L’écart entre un esprit sain, voire quelque peu troublé, et le basculement total vers l’obsession est mince et la frontière, ténue. « Black Swan », par sa mise en scène extravagante et son travail esthétique des scènes de danse qui fait virevolter les images en corrélation avec les tourments de l’esprit de la protagoniste que l’on suit, aborde une quête dont l’objet (en l’occurrence, la perfection) n’est pas le bon. N’est-ce pas actuellement le cas de tout un pan de la société ?

Il y a de la petitesse et de la grandeur dans ce film, il y a des moments d’ennui ou d’exaspération face au spectacle auquel on assiste mais il y a aussi de la vibrance et des sauts dans le vide. A chacun de se faire sa propre opinion, car ce film se reçoit de manière singulièrement contrastée selon la résonance qui s’installera, ou pas, en vous.

(Ariane Jauniaux)