Ecran témoin
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BAMAKO

Abderrahmane Sissako (France/Mali 2006 - distributeur : Cinéart)

Aïssa Maïga, Tiècoura Traooré, Hélène Diarra

115 min.
15 novembre 2006
BAMAKO

Le faux pour mieux souligner le vrai ou quand la souffrance peut avoir besoin, pour se dire, de tresser la réalité à la fiction. Comme si elle puisait dans ce nouage le cadre idéal d’une re-création permettant à une vérité sombre d’émerger. En l’occurrence celle du peuple africain qui, à peine sorti de la colonisation, est soumis à un nouveau joug qui s’appelle la nécessité de rembourser une dette colossale.

Mélé (*) est chanteuse de bar, son mari Chaka est au chômage. Leur couple est en train de se défaire, à l’image d’un continent en train de sombrer dans la misère. Ils partagent avec d’autres familles une maison dans la cour de laquelle un tribunal fictif est installé pour y porter accusation contre la Banque Mondiale et le FMI présentés comme coupables des drames d’une Afrique qui croule sous son endettement, sa paupérisation et sa pratique assidue de la corruption.

Cour pour cour ou pour reprendre les termes mêmes d’une procédure judiciaire, cour versus cour qui opposent deux parties moins antagonistes qu’il n’y paraît : celle dans laquelle les gens vivent et celle devant laquelle ils portent témoignage de leur vie.

Ici point de mensonges mais des points de vue apportés par des hommes et des femmes, des intellectuels, des ouvriers, des paysans qui racontent leur pays, le Mali, enroulé autour de sa pauvreté et des difficultés qui en résultent.

Malgré les couleurs chaudes ourlées de chants qui pulsent la vitalité instinctive, le film est grave, arc-bouté à des constats sans solutions ou à des interrogations sans réponse qui non seulement hypothèquent l’avenir d’un pays mais dévastent les rapports humains.

« Bamako » peut apparaître comme un film de genre, un film de prétoire, mais il est bien plus que cela. Il est un film réquisitoire et politique - dans la veine complexe et ouverte à l’ambigüité de certains documentaires (« Welfare ») de Frederick Wiseman - qui dénonce l’impasse des sociétés occidentales enfermées dans leur incapacité à mettre leurs discours généreux en harmonie avec leurs décisions sur le terrain et souligne que l’Afrique, même si elle n’est pas dupe de ce qui lui arrive, n’a pas les moyens de s’y opposer.

Bamako, malgré son ton parfois léger et humoristique, reste une histoire amère qui n’augure pas d’un futur rose. Le bonheur, dont dans un de ses films (**) précédents Sissako rêvait, risque de se faire attendre (m.c.a)

(*) Aissa Maiga est actuellement à l’écran dans le beau film de Philippe Lioret « Je vais bien, ne t’en fais pas »
(**) « En attendant le bonheur » (2002)