Ecran Total
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AVANT QUE J’OUBLIE

Jacques Nolot (France 2007 - distributeur : Ecran Total)

Jacques Nolot, Marc Rioufol, Bastien d’Asnières, Jean-Paul Dubois

108 min.
13 août 2008
AVANT QUE J'OUBLIE

« Avant que j’oublie » : la sublime banalité ou la banalité sublimée ?

Avec Jacques Nolot, on entre dans une infra ou meta dimension. Celle d’une introspection, farouchement narcissique, en comparaison de laquelle l’égo délirant de Fabrice Luchini devient de la roupie de sansonnet.

Pierre a 58 ans. Ecrivain en panne d’inspiration, homosexuel et séropositif en rupture de trithérapie, il dérive.

Avec l’acharnement d’un naufragé agrippé à ce qui lui reste de force, entre rencontres sexuelles tarifiées, séances de psychanalyse et vieux amis qui viennent rompre sa solitude, il pose sur lui, sur la vie, des regards crus.

Des paroles désenchantées qui écorchent par leur vérité. Cette vérité sans barrière, sans fard et sans fond que l’on n’atteint qu’en état de tristesse avancée. Proche, sans tout à fait y tomber, de la dépression.

Cette dépression des désespérés, des mélancoliques qui ont fait le tour des plaisirs, des savoirs - la chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres écrivait Mallarmé (*) - des relations humaines, et qui se retrouvent, pour panser leur propension à s’écorcher vif, acculés à jouer d’un humour grinçant.

Un humour qui couvre les déceptions de ne pas avoir pu ou su mener une vie différente, espérée meilleure et plus satisfaisante et qui n’est que la pathétique ultime révérence d’un presque sexagénaire comptant les derniers fils qui le rattachent à une existence.

Brossée sans haine, sans jugement, sans reproche à lui-même ou au milieu dans lequel il évolue et auquel pourtant il n’épargne pas une salutaire volée de bois vert. Donnée avec une sorte de tranquille fatigue et de langueur poétique qui, alors qu’elles peuvent en avoir les apparences, ne sont pas de la complaisance.

Mais plutôt une espèce d’humanité détachée et lucide qui fait que même au plus sombre de son récit, jamais « Avant que je n’oublie » ne tombe dans la morosité, la morbidité gratuites ou le ressassement d’idées noires.

Ce film est le troisième volet d’une trilogie, commencée avec « L’arrière-pays », poursuivie avec « La chatte à deux têtes », centrée sur un même personnage - peu importe qu’il s’appelle tantôt Jacky, Jacques ou Pierre - qui depuis longtemps flirte avec la mort.

Une mort tributaire de l’évolution d’une maladie diagnostiquée il y a 26 ans et sur le fil de laquelle Jacques marche et trébuche. Funambule touchant et sincère.

Qui n’essaie jamais d’apitoyer ou de s’apitoyer. Mais simplement d’attester, en prenant assise sur ses (auto) observations intimes, des difficultés et fatigues à vieillir, à voir disparaître des amis proches, à établir avec l’argent une relation apaisée.

A sentir ses puissances créatrices et sexuelles se racornir. Et s’évanouir peut-être.

Pierre est-il Jacques Nolot ? Est-il un objet de son imaginaire ? Ou plus vraisemblablement le sujet des préoccupations, oscillant entre vécu personnel et fantasmes (**), du cinéaste ?

Peu importe finalement. Pierre est un être humain qui sait qu’il va mourir. Qu’avant de mourir, il se verra déchoir, haché menu par les hypocrisies d’une société bien pensante et les veuleries des jeunes gigolos dont il a la passion.

A cause d’une intelligence pénétrante qu’il déplie d’une voix à la diction machinale et précise, à cause d’une envie d’indécence qu’il tient, par d’élégants plans-séquences à distance de la pornographie, et malgré le fait qu’il se fiche de nous être sympathique, on éprouve pour l’acteur et le metteur en scène de la curiosité, de l’intérêt.

Et parfois même une fugitive tendresse. (m.c.a) 

(*) Dans son poème « Brise marine ».
(**) De toute façon ceux-ci ne sont-ils pas aussi du vécu personnel, donnant aux fantasmagories de l’esprit un crédit de vérité ? Le « mentir vrai » cher à Aragon et aux adeptes du divan.