Coup de coeur mensuel
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Coup de coeurAUF DER ANDEREN SEITE ou DE L’AUTRE COTE

Fatih Akin (Allemagne/Turquie - distributeur : Cinéart)

Nurgül Yesilçay, Hannah Schygulla, Nursel Köse, Patrycia Ziolkowska, Tuncel Kurtiz

122 min.
14 novembre 2007
AUF DER ANDEREN SEITE ou DE L'AUTRE COTE

Le cinéma n’est pas la vie. Il - parfois - la transcende et l’éclaire d’un soleil qui mêle émotion et espérance. Et même si l’on sait, en quittant la salle de projection, que la réalité est là au coin de la rue, plus sombre, moins lisse, peu importe. On emporte avec soi, comme le plus précieux des biens, un peu de cette humanité fictivement généreuse, laquelle nichée dans la zone souvenir de nos cœurs, pourra les réchauffer quand bise et tempête quotidiennes s’acéreront.

Fatih Akin fait du cinéma maïeutique. Comme Socrate le faisait avec ses questions, il questionne, par l’image, ses personnages et par-delà ceux-ci ses spectateurs aux fins de les révéler à eux-mêmes. Plus miséricordieux qu’ils ne l’imaginaient.

Entre Hambourg en Allemagne et Istanbul en Turquie le chemin est long et hasardeux. Mais entre ceux qui y habitent la distance, si elle se calcule en miles de réflexion sur soi et sur les autres, peut considérablement se réduire et pourquoi pas disparaître.

Dans « De l’autre… », nous ne sommes plus comme la précédente réalisation d’Akin « Gegen die wand » - Contre le mur - coincé dans les difficultés à accepter ses origines et son déracinement, mais dans un itinéraire, un mouvement d’ouverture vers un embrassement des cultures et des individus qui, bien-au delà de leurs différences, trouvent à se réconcilier et à envisager de pourvoir s’aimer.

En moyeux incontournables de ce film, beau et courageux, deux acteurs à la force intacte. Hannah Shygulla et Tuncel Kurtiz . L’un et l’autre, égérie et porte-parole du meilleur de leur cinéma-heimat. Fassbinder pour elle et pour lui Yilmaz Güney - cet auteur incandescent du « Mur » et de « Yol » longtemps emprisonné pour son opposition au régime et auquel Fatih Akin va consacrer un documentaire.

Comme chez Pirandello, ils sont six - Turcs et Allemands, hommes et femmes, jeunes et vieux, bourgeois ou immigrés, amoureux ou solitaires, vivant en pleine légalité ou hors-la-loi – en quête du meilleur d’eux-mêmes.

Akin, comme dans ses autres films, élabore une narration, pour laquelle il a reçu à Cannes le prix du scénario, à la fois simple et complexe. Simple parce qu’elle peut tenir en quelques mots : un jeune intellectuel Turc d’Allemagne part à Istanbul à la recherche de la fille de la compagne de son père, accidentellement tuée par celui-ci.

Et complexe parce qu’il superpose, un peu comme chez Inarritu, diverses trajectoires de vie qui se frôlent sans nécessairement se rencontrer.

Les thèmes de prédilection du réalisateur - l’exil, les liens du sang, le retour aux racines, le face à face entre les mondes musulmans et chrétiens auxquels vient s’ajouter un regard engagé sur l’entrée (nécessaire selon Akin *) des Turcs dans la Communauté Européenne et dénonciateur de la propension du gouvernement stambouliote à emprisonner ses dissidents - sont cousus, avec une vigueur qui, alliée à la plus souveraine des aisances cinématographiques, crée un propos profondément bouleversant.

Et étonnamment vivant alors qu’il est peuplé de morts et de doutes sur l’inclination spontanée de l’homme à partager ce qu’il a.

Comme dans tous les chefs d’œuvres du 7ème art, ceux qui rendent le spectateur prométhéen c’est-à-dire désireux de capter un peu du feu du « cinéaste- creator », il y a une image que l’on sait douée du pouvoir, quasi thaumaturgique, de vous accompagner bien au-delà de la vision.

Image précieuse par le sentiment inestimable de bien-être et d’apaisement qui la nourrit.

Image qui clôture ce film tissé de voyages d’un arrêt. Arrêt d’un homme, assis sur le sable, en lisière d’une mer calme et en attente d’un père avec lequel il a choisi de faire la paix.

Une intéressante interview de Fatih Akin par Elise Domenach et Grégory Valens est proposée dans le magazine « Positif » du mois de novembre 2007 (m.c.a)

(*) « Seul moyen d’endiguer la montée des extrémistes qui travaillent la Turquie de l’intérieur » - propos recueillis par Philippe Azoury pour le journal « Libération » de ce 14 novembre 2007.